Les cas qui ont été évoqués relevaient de situations de handicaps forts éveillant dans nos auteurs les possibilités de maternage vis-à-vis de personnes non autonomes. Le centrage sur les personnages porteuses de handicap s’explique par la difficulté particulière à mettre en place la bientraitance dans ces situations : incompréhension, agacement, rejet, invisibilisation, banalisation, déni, mais aussi culpabilité de ne pas être suffisamment soignants, de ne pas sortir les patients de leur dépendance et/ou leur souffrance. Que ce soit dans le cas d’une patiente gravement limitée dans ses relations sociales et affectives par une anorexie majeure, les adolescents présentant des troubles du développement affectif ou les patients âgés présentant des troubles cognitifs et ceux en fin de vie. Comment être bientraitants lorsque nous sommes en difficulté par rapport à notre idéal de métier, lorsque la situation à laquelle nous sommes confrontée ne nous permet pas de mettre en œuvre nos compétences et notre savoir faire habituel, lorsque notre cerveau ne recevra pas, en retour de l’énergie, du temps et de l’empathie accordée, la récompense dont il a besoin pour être en équilibre. Nous ne sommes pas des superhéros, nous sommes des êtres humains en recherche d’homéostasie, portés par une histoire particulière à nous tourner vers le soin de l’autre. La bientraitance c’est aussi prendre conscience que si le patient ne choisit pas la solution qui nous parait idéale pour résoudre ses problèmes, c’est qu’elle ne répond pas à ses attentes, besoins et craintes. Le patient nous parait parfois ambivalent ou incohérent car il n’est pas égal à lui-même dans tous les moments et les aspects de sa vie. Il ne faut pas juger trop vite qu’il est capable, incapable, désireux ou non désireux de résoudre un problème ou réaliser une action. Restons ouvert pour l’aider à réfléchir, à élaborer. Le refus de soin est lui aussi une situation qui met à l’épreuve nos capacités de bientraitance car il nous déstabilise dans ce que nous croyons être notre rôle, surtout lorsque le patient semble n’en faire qu’à sa tête en se reposant sur la toute puissance de l’hôpital et des thérapeutiques médicamenteuses. Pourtant quoi de plus humain que de vouloir éviter la souffrance même quand on ne tient plus vraiment à la vie. Comme toujours, la résonance a pointé son nez avec son cortège de blocages et d’émotions parfois inattendues nous permettant de repérer ces vécus et ces représentations qui nous amènent dans des positions plus profanes que professionnelles.
Ce qui est apparu le plus évident dans les discussions sur les cas présentés est la complexité et l’intrication des enjeux sous-jacents au désaccord apparent. Les notions de court terme et long terme, immédiateté et projection, instinct et élaboration se sont mêlées aux échanges. Il apparaît ainsi que la souffrance d’un enfant résultant du désaccord violent entre ses parents met le médecin en difficulté dans ses priorités psychothérapeutiques en le faisant entrer en résonance. Le travail de médecin généraliste en institution est particulièrement pourvoyeur de désaccords, surtout lorsqu’elles sont gérées par des bénévoles qui tiennent à garder la main sur les procédures médicales. Ici, les conséquences d’un désaccord assez rationnel en apparence prennent une dimension affective évidente suite à la résonance de la situation avec des éléments de vie du passé du médecin. La fonction apostolique du médecin, son besoin de soigner les gens et qu’ils se conforment à la façon dont lui pense qu’ils doivent se conduire pour avoir une meilleure santé peut créer du désaccord entre médecin et patient. Heureusement, certains patients savent résister et obligent le médecin à assouplir son prosélytisme. Le désaccord apparent est parfois un jeu relationnel entre patient et médecin pour rappeler les places de chacun. Le médecin ne s’y trompe pas mais se laisse surprendre par le changement de posture du patient. La culpabilité est le pendant de la toute puissance et empêche parfois de suivre l’évolution des besoins du patient. Le désaccord du médecin avec lui-même apparaît parfois dès le récit du cas, l’agacement étant la face émergée d’un conflit intérieur. La face immergée est bien sûr moins accessible. Les clefs peuvent être longues à trouver, surtout lorsque la grande Histoire s’intrique avec les drames familiaux. L’empathie disparaît parfois lorsque le besoin de régression ou de soutien du patient viennent heurter les modes de défense du médecin dans son propre rapport à la vie. L’antécédent d’abandon est peut-être ineffaçable. L’appel à la violence peut dépasser les capacités habituelles du médecin à exprimer son désaccord. Le médecin se retrouve parfois en porte à faux dans les messages éducationnels qu’il a essayé de faire passer dans une population culturellement différente. Exprimer le désaccord peut faire beaucoup de bien et même être salutaire tant pour le médecin, le patient que pour la relation. C’est parfois ce qui permet de passer un cap, de changer d’espace thérapeutique. Une fois de plus, notre mode de travail a montré sa richesse et a contribué à améliorer notre thérapeutique, dans le plaisir des échanges.
ACP
Notre travail a pointé les caractères déjà décrits dans la littérature quant aux patients présentant des douleurs ou autres symptômes inexpliquées : la multiplicité des symptômes, leur variabilités, la présence de signes psychiques associés : dépression, anxiété, conduite obsessionnelle. La multiplication des examens complémentaires, des avis de spécialistes, en attente d’ étiquetage et de traitement miracle accompagnent le clivage entre corps et psychisme, la difficulté à ressentir des émotions, à les accepter, les exprimer, on pourrait dire la difficulté d’introspection et d’élaboration.
Notre séminaire nous a permis de percevoir que la douleur survient souvent dans un contexte de déstabilisation psychique inattendue mais qui fait écho à une souffrance ancienne, souvent enfouieet qui n’a pas été métabolisée. Les causes de résurgence de la souffrance sont multiples. L’arrivée d’un enfant peut susciter la peur ne pas savoir être père car les souvenirs du lien père-fils seraient intriqués aux souvenirs de maltraitances. Il peut aussi s’agir d’éviter bien des fantômes, de ne pas penser à ce qui a fait mal tout en en marquant la trace. Les douleurs semblent traduire parfois une certaine rigidité psychique ou une posture infantile qui pourraient n’être que la face visible d’un syndrome post-traumatique jamais exploré. Les douleurs ne sont perçues parfois par le médecin que comme un prétexte à consulter comme cette patiente qui vient se plaindre de ses pieds. Le médecin se penche alors que un symptôme plus inquiétant dont il permettra d’ailleurs une résolution digne d’un conte de fée. La patiente avait peut-être du mal à continuer d’avancer.
Ce que nous apportons de plus par notre mode de travail, c’est la part du médecin dans cette difficulté à dépasser le mode de présentation du patientpour accéder à ses maux psychiques.
Il faut investir parfois beaucoup de temps et d'énergie et accepter de se faire polluer pour avoir un petit bout de leur histoire. Le médecin n’a pas toujours envie de franchir le mur. Il ne prend pas le temps, ne trouve pas l’occasion, se retranche derrière le risque d’être intrusif, parce qu’il sent un puit sans fond, parce que cette souffrance sous-jacente lui parait envahissante et résonne avec ses propres difficultés et le fait accéder à des parties sombres de lui-même.
Dire au patient qu’on perçoit sa souffrance est évidemment une meilleure approche que de lui faire un cours sur la psychosomatique pour tenter de le convaincre qu’il devrait voir les choses autrement. Comme nous l’a proposé notre expert, il s’agit parfois seulement de poser des questions simples sur les quelques évènements de vie que le patient nous apporte,
L’agacement du médecin de la posture d’enfermement du patient et de son manque d’élan vital peut être un obstacle pour trouver le chemin de la résilience. Permettre au patient d’exprimer sa souffrance est un préalable à tout espoir de voir surgir un élan vital solide. Cela demande de la patience, le désir de comprendre, et d’accompagner le temps psychique de déconstruction des traumatismes avant de vouloir stimuler le patient et attendre de lui du « positif ».
Comme le patient a parfois besoin du médecin pour enfin lâcher quelque chose, le médecin a parfois besoin de son groupe de travail pour ne pas être seul face à tant de souffrance ou de peur. Les résonances se perçoivent parfois lors de la lecture du texte pourtant écrit sans affect apparent. Le plus souvent c’est la discussion qui ouvre la voie de la raisonnance, ce raisonnement basé sur la résonance. Comme pour l’empathie, c’est l’émotionnel qui ouvre la voix du cognitif.
Le premier cas est emblématique si ce n’est caricatural puisque cette patiente de lointaine origine n’a jamais été réellement adoptée par le couple qui est allé la chercher et son errance n’en est que plus émouvante. Il faut bien un médecin aussi aguerri que notre confrère pour passer outre le comportement déstructuré de la patiente et même lui faire confiance en dépit d’elle-même, au point de négocier prêt d’argent contre entretiens hebdomadaires.
Notre second cas illustre à la fois la gêne qui modifie notre attitude habituelle lorsque la Loi nous semble bafouée par un patient et la résonance que peut produire en nous l’attitude autoritaire d’un patient. Lorsque les deux se potentialisent, le résultat en est une contre attitude non thérapeutique qui ne nous satisfait pas vraiment.
Nous avons ensuite abordé l’agressivité d’un patient comme résultante de la maltraitance involontaire de l’institution avec son lot de dilution des responsabilités et de cloisonnement des rôles, avant de donner corps aux craintes du médecin de ne pas savoir dire non face à une demande massive de transfert.
Lorsque l’attitude revendicatrice du patient rejoint la peur du médecin de subir une plainte judiciaire, tout est en place pour une relation bloquée, le médecin adoptant une attitude défensive. Encore une fois, les déterminants socioculturels et historiques pourraient contribuer à l’attitude pathologique de la patiente qui reproduit conflit et clash avec divers soignants. Pour autant, la patiente a certaines compétences pour discerner les limites des thérapeutiques et moyens médicaux mis en œuvre. Il est malheureusement difficile de les reconnaitre comme telles dans le parasitage relationnel.
Le statut de parent d’enfant handicapé conduit souvent à une irritabilité latente Quand les deux enfants de la famille sont atteints chacun à leur façon le trouble en est d’autant plus majeur. Pour autant, il serait trop facile de s’en arrêter là. La personnalité, l’enfance des parents et l’histoire transgénérationnelle ont forcément leur part dans le tableau. C’est un vrai travail pour le médecin de s’adapter à la rigidité des modes de défense des patients face à ces profondes souffrances.
L’expérience améliore parfois les choses mais les médecins sont aisément agacés par les patients qui arrivent en exigeant un examen complémentaire. Pourtant les déboires médiaux vécus par cette patiente pourraient rendre le médecin prudent, de même que la propension de la patiente à récriminer pourrait l’inciter à tendre l’oreille aux sentiments de frustration réveillées par l’héritage en cours.
Le cas de cette patiente réclamant un bon de transport pour aller faire enlever un bracelet électronique nous fait entrer dans l’ignoble. Tout le travail est alors de sortir du jugement pour pouvoir accomplir sa tache de médecin envers cette femme qui a laissé partir sa santé à vaux l’eau.
Même quand on est chauffeure de poids lourd, le tournant de la cinquantaine peut être difficile à négocier. Les hommes de l’histoire en sont déstabilisés, d’autant que pour eux aussi, le temps fait son œuvre.
De plus en plus souvent, les discussions sont empreintes de conceptualisation à partir du cas et nous laissons alors ces éléments à la place où ils ont surgi. La partie « éléments théoriques » proprement dits de la revue est donc consacrée soit aux approfondissements de ces éléments apparus au fil de la discussion, soit à des élaborations à posteriori, des liens nouveaux ou des idées fortes.
Comme souvent, un cas éclaire l’autre et c’est en écoutant la discussion de l’un qu’on trouve une hypothèse en réponse à une question restée sans réponse pour le cas précédent.
Les symptômes, tels que maux de ventre ou vaginisme sont présents mais ce qui est le plus notable, c’est cette sensation que certaines femmes sont bloquées depuis des traumatismes liés à la sexualité, même ou surtout lorsqu’elles n’ont pas conscience que ces évènements ont eu un impact sur elles. L’effet d’après-coup est présent plusieurs fois, telle cette femme qui a un début de vie adulte apparemment normal et dont la vie se défait progressivement après de nouveaux évènements de vie délétères.
L’abord de la sexualité est encore loin d’être aisé. Parfois c’est la pudeur partagée qui fait résistance, d’autre fois c’est l’évidence apparente qui manque d’être interrogée. A noter cette patiente qui a livré des faits traumatisants assez récemment qu’elle avait précédemment effleurés. Entre temps, l’auteur avait repéré ce flou grâce à une première discussion du cas dans un séminaire précédent.
Le dépistage des violences rencontre la résistance des patientes, en particulier lorsque le traumatisme a produit un clivage qui s’est figé dans le temps, mais les médecins ne sont pas en reste avec l’impensable, parfois soutenu par les meilleures intentions de leur inconscient sur l’interdit de l’inceste par exemple. La certitude que les patientes bénéficient de l’accueil de leur secret ne suffit pas à effacer la crainte de ne pas être à la hauteur de leur confiance. Les médecins sont étonnés et même déstabilisés par la certitude apparente des patientes qu’ils ont les réponses aux questions qu’elles se posent, en particulier sur la normalité de ce qui leur arrive.
Plusieurs discussions ont mis en évidence une proximité particulière qui a pu modifier la relation, la patiente qui est la sœur de, la patiente qui a le même prénom que... Il semble alors plus difficile d’évoquer la sexualité ou l’abus. Le risque d’identification et de projection complique lui aussi la relation.
Nous ne pensions pas avoir l’occasion d’aborder les concepts balintiens de délinquance institutionnelle. Une maladie génétique touchant à la génitalité peut conduire une enfant à subir une maltraitance répétée avec des répercussions graves sur la construction de sa personnalité.
Annie Catu-Pinault
Les tiers évoqués sont très nombreux. Ce ne sont pas que des personnes, comme le mari, l'ex-mari, le père, les parents, ce sont aussi les institutions, la société, les représentations.
Ainsi dans le cas de BR, les plaintes contre l'ex-mari envahissent la consultation, ce qui nous conduira à évoquer le lien entre récriminations et carence affective précoce, mais la patiente ne laisse pas la place à un travail sur le sens.
C'est en écrivant leur cas ou pendant la discussion que tout à coup les médecins sortent de l'envahissement par le tiers et réalisent des liens, des interprétations. Ceci est habituel dans le travail de l'atelier mais particulièrement présent cette fois. Une des explications est la multiplicité de choses à suivre quand il est question d'un tiers, surtout lorsqu'il est présent à chaque consultation comme dans le cas d'OD.
L'histoire contemporaine est, elle aussi, un tiers à prendre en compte. Il s'agit de ne pas le laisser emporter par l'émotionnel tout en acceptant d'être touchés. Il ne faut pas seulement être capable d'entendre quand la parole vient, il faut aller au devant d'elle car les gens qui ont subis des horreurs savent qu'ils vont déranger. Maladies somatiques, symptômes fonctionnels et problèmes psychiatriques sont plus fréquents chez les descendants. Il s'agit d'être proactifs pour dépister et faire de la prévention.
La transmission du stress des parents se fait au quotidien et nous pouvons parfois aider les patients à en prendre conscience pour mieux d'en défendre. Mais le stress transmis par des allèles de parents disparus est plus difficile à comprendre. L'histoire familiale est toujours présente comme un tiers en action qui favorise les répétitions. La perception de ces répétitions et son élaboration avec les patients est certainement plus efficace pour leur permettre de décider enfin de profiter du temps présent que la seule injonction à le faire. Notre agacement est un bon signe clinique pour se dire qu'il y a quelque chose à comprendre dans le comportement inadapté du patient.
Nous percevons parfois le symptôme comme un tiers qui nous tient à distance alors que le patient l'utilise pour venir nous demander quelque chose dont lui-même n'a pas conscience. Il faut alors savoir relever des petits riens pour avancer par tous petits pas.
Le tiers le plus envahissant est parfois la résonance du médecin avec sa propre histoire. On peut osciller alors entre déni et fausses évidences. Le rôle de médiateur entre parents et enfant n'est pas facile à tenir quand les confusions n'ont pas été perçues. Le travail de groupe est alors essentiel.
Le médecin fait tiers pour aider chacun à exprimer ses attentes et ses difficultés, et comprendre le point de vue des autres. II favorise la réflexivité plutôt que le rapport de force ou de séduction. Il peut représenter la Loi mais aider chacun à fabriquer ses propres normes dans une société en changement. Il oriente les familles vers la recherche de solutions.
Le lien entre blocage respiratoire et blocage de la parole a été rapidement évident. Nous avons d'abord entendu, avec O. Demonsant, l'intrusion d'une brutalité à couper le souffle d'une mère maltraitante depuis toujours et la colère qui ne peut pas se dire. B. Raynal nous a ensuite raconté la demande affective respective et maladroite, dans un couple fusionnel et en guerre permanente, la répétition des « crises » dans les générations successives dans cette famille où on ne parle pas et dans laquelle un nouveau-né est mort dans la suffocation. M. Sabo nous a transporté dans la cage d'une femme qui ne sait pas se dire et qui tente de calmer ses angoisses par l'alcool puisque son mari ne sait pas lui ouvrir la porte. Son médecin a du mal lui donner un espace de parole pour l'aborder en profondeur, malgré son recours à l'hypnothèrapie. Le déni comme mode de défense est illustré par le cas de C. Crozat dans lequel la patiente clame une enfance heureuse malgré ses consultations itératives pour des crises d'essoufflement évoquant une hyperventilation liée à des crises d'angoisse. Il faut beaucoup d'empathie pour tenter de faire baisser le pont levis afin d'accéder à la personne. L'essoufflement est parfois la conséquence d'un épuisement face à un contexte de vie perpétuellement abandonnique et violent. Les vomissements qui les accompagnent dans ce récit font évoquer un antécédent d'agression sexuelle. C. De Carne aimerait tant que la patiente parvienne à dépasser tout le négatif en se centrant sur la vie future qui se présente plutôt bien. Mais le passé persiste à engluer le présent dans l'angoisse. Il arrive que nous souhaitions sincèrement la mort d'un de nos patients, tellement leurs souffrances nous paraissent insupportables. Ceci s'avère très partagé devant les dyspnées d'insuffisance cardiorespiratoire très sévères dans lesquelles notre empathie est mise à rude épreuve. La patiente de M. Truchassou happe l'air depuis deux ans mais résiste. Ce dernier souffle chronique rend difficile le dialogue. Enfin, notre experte cardiologue a participé à l'éclairage des atteintes cardiaques dans leur lien aux problèmes du cœur affectif, nous permettant d'introduire quelques références aux mécanismes psychosomatiques explicités ou démontrés dans la littérature. Ces hypothèses que le médecin se formulent pourraient être communiquées au patient, certes elles feraient alors interprétations mais peut-être aussi délivrance.
INTRODUCTION Le travail de ce séminaire a confirmé la diversité des motifs de non-dits, mensonges et omissions, que ce soit de la part du médecin, du patient et parfois dans un accord tacite ou un effet de miroir entre les deux. Le médecin, en dépit du désir de s’en défaire, a de multiples représentations plus ou moins conscientes de la famille, de la façon dont chacun doit se comporter pour être une bonne mère, un bon époux et même un enfant bien élevé. Mais ce sont aussi parfois ses anticipations sur les difficultés de vie à venir qui influencent son attitude, comme dans le premier cas où l’existence de conflits ethniques dans la zone d’exercice de l’auteure l’incite à conseiller à la mère de ne pas cacher aux enfants l’implication de la famille dans la rébellion Kurde, comme pour les préparer à ce qu’ils vont devoir affronter. Les réticences des patients à dire peuvent être volontaires mais le déni, comme le refus de voir la mort d’un proche arriver dans le deuxième cas, ou même les clivages, comme dans le cas de cette toxicomane qui se choisit un deuxième prénom évoquant sans contest le père absent, dans le cas de M.Sabo, participent aux non-dits, involontaires cette fois. Les injonctions familiales font agir les patients sans qu’ils en aient conscience et c’est le travail en profondeur avec les patients qui permet, parfois, de lever le voile. Faut-il dire ce que nous comprenons ou élaborons ? Il est facile de répondre quand l’intervention du médecin parait anodine, et parfois magique, lors de la révélation d’une grossesse débutante à une mère dépassée par l’agitation récente de sa fille. Il est plus difficile de l’affirmer lorsque les patients semblent fragiles, mal structurés ou même déstructurés. La place de la psychothérapie du médecin généraliste et les techniques qu’il peut utiliser pour la réaliser tiennent compte des possibilités d’élaboration du patient. La confiance dans les compétences des patients ouvre des possibilités inattendues d’évolution du patient, qui dépendent aussi de limites propres à chaque médecin, à sa personnalité et à ses représentations. Certains se placent dans une position d’écoute la plus ouverte possible, d’autres tirent tous les fils que le patient tend ou même tentent de lui ouvrir des portes, parfois lourdement fermées. Contredire l’injonction au silence, aider à décrypter les angoisses transgénérationnelles, servir de prothèse psychique pour alléger le fardeau du non-dit, débloquer des vies insatisfaisantes et reprendre un trajet de vie plus épanouissant.
Annie Catu-Pinault La langue française, par ses deux acceptations du sens du mot vertige, nous montre que cette complexité de l’être humain dans son interaction permanente entre corps et psychisme est connue et soutenue par le langage depuis bien longtemps, de cette sensation de tourner à une forme de panique devant une situation effrayante. Les cas relatés et discutés dans ce numéro déroulent l’évidence de cette intrication. Tout le travail du médecin est de tenter de faire la part de ce qui relève du corps réel, objectif dans un déficit des fonctions sensorielles ou adaptatives et de sensations corporelles qui découleraient d’un déséquilibre psychologique ou existentiels, tout en maintenant la cohérence psychosomatique. Ceci dans le but de faire un diagnostic pertinent, de la tumeur à l’événement de vie stressant pour adopter la thérapeutique la plus adaptée. La première évidence soutenue par les discussions est donc cette intrication de l’objectif et du subjectif. Un autre élément est apparu lors de la synthèse de ce travail, à savoir que dans sept cas sur les huit racontés, les patients ont côtoyé la mort de façon précoce, en perdant un proche ou pour l’un d’entre eux en frôlant la mort. Le dernier cas étant une rencontre récente entre médecin et patient, qui n’a pas permis jusque là d’aborder l’histoire du patient. Cet éclairage n’est pas sans nous étonner car le vertige est un symptôme perçu par le corps médical comme assez banal et anodin, en dehors des cas exceptionnels où il traduit une pathologie neurologique grave. Le côtoiement précoce de la mort pourrait-il induire une peur résiduelle de mourir qui prendrait corps lors d’un événement de vie qui ferait résonance. Ou cette panique de l’avenir vécue plus ou moins consciemment dans le passé trouverait matière à résonance dans le présent. Certes les cas relatés ne le sont pas par hasard et peuvent cristalliser une gravité exceptionnelle mais cette expérience précoce de la mort n’a pas été aussi systématique dans nos autres séminaires. Il nous semble que cet élément doit attirer l’attention du médecin, comme du thérapeute plus généralement, dans la reconstitution du contexte et de l’histoire de vie, et le sens à chercher à ce symptôme. Comme d’habitude par contre, le séminaire s’est nourri de l’expérience de chacun des participants sur le sujet, sa façon d’aborder ce symptôme et parfois même son expertise. Certains, par exemple, utilisent une explication pédagogique, alliant physiopathologie et vision existentielle, pour orienter le dialogue et la réflexion du patient vers son contexte de vie. Le vertige est souvent un symptôme parmi d’autres faisant entrer le patient dans la catégorie «SBI», symptôme bio-médicalement inexpliqué, dont le seul intérêt est de nous rappeler la nécessité de nous intéresser à ce patient et à son histoire en profondeur pour décrypter avec lui ce qui l’encombre ou lui manque. Il n’est pas toujours facile de se mettre au travail avec le patient, que ce soit par désir de protéger le patient de faire face à l’absence d’une maladie «vraie», par renoncement devant un manque apparent de capacité à élaborer, par agacement ou rapport de force. Le séminaire est une occasion de prendre conscience de ce qui limite la qualité de la relation.
INTRODUCTION Ce numéro est donc un numéro spécial puisque nous y avons ajouté différents hommages suite au décès de Louis Velluet qui avait créé ces séminaires et cette revue avec sa compagne Anne Marie Reynolds, qui a animé nos sessions jusqu'au thème des vertiges qui paraitra en mars 2018. Nous avons souhaité poursuivre ce travail de l'Atelier qui nous apporte beaucoup dans notre pratique et qui permet de partager cette recherche sur la spécificité de la médecine générale, par l'écrit. Nous avions choisi ce thème suite aux difficultés ressenties par plusieurs d'entre nous dans la relation avec nos patients de religion musulmane après les différents attentas survenus en France et dans le monde. Nos crispations identitaires n'étaient pas en accord avec notre éthique du soin en particulier, du rapport à l'autre plus globalement. Les attitudes de certains patients après chaque événement, plus spécifiquement dans des banlieues muti-culturelles déstabilisent aussi la relation. Bien sûr nous avons jugé nécessaire d'ouvrir sur les blocages dûs à d'autres religions mais aussi d'autres croyances. Nous avons mesuré à quel point nos à priori créent des parasites et nous empêchent de voir la personne pour entrer vraiment en relation. Ce séminaire, nous le pensons, nous aura aidés à retrouver l'ouverture nécessaire à un soin de qualité, ouvert sur l'histoire propre de chacun de nos patients. Souhaitons que cette revue puisse en aider d'autres. Notre thème a donné lieu à un abstract et un poster, au Congrès de Médecine Générale 2017, qui sont reproduits dans ces pages. Ce travail nous a permis de constater les différences entre un travail de « recherche qualitative » et notre approche plus psychanalytique. La première cherche à classer des verbatims pour les regrouper en catégories et repérer des processus. La deuxième s'attache à toutes les spécificités d'une relation duelle dans laquelle le médecin est partie prenante.