Pallier, du latin Pallium : « manteau » couvrir d'un déguisement, d'une excuse comme d'un manteau en médecine: ne guérir qu'en apparence Littré) Louis VELLUET L'accompagnement des patients dont l'entourage médical estime que rien ne pourra plus entraver l'évolution vers la mort s'est peu à peu structuré dans notre société. Les services de Soins Palliatifs assurent officiellement cette fonction. Le choix du thème de ce séminaire de l'Atelier reposait en particulier sur la nécessité de clarifier le rôle du médecin généraliste en face de ces institutions mais, comme on va le voir, au-delà de cet aspect « social » ont été traitées des questions essentielles. La prise en charge individualisée par les praticiens des patients atteints d'affections mortifères ou celle du grand âge dans le milieu de vie n'est certainement pas appréciée à sa juste valeur. Il ne s'agit plus alors seulement de parer aux désordres physiques mais de favoriser une survie positive. Un aspect spécifique de l'exercice médical, trop souvent négligé, réapparaît. Dans la mesure où une relation transférentielle solide s'est établie avec un patient bien identifié il devient en effet difficile de se cacher derrière la technique. C'est ainsi que le regard, à la fois distancié et proche, sur la clinique quotidienne, spécificité du séminaire, s'est porté sur des dynamiques relationnelles rarement explicitées mais d'une importance essentielle si l'on privilégie le lien interhumain. Les situations cliniques décryptées au long du séminaire ont éclairé les différents modes de reconnaissance, aussi bien que d'évitement, de la mort approchante. Et cela concerne bien évidemment le médecin autant que le patient, ce dernier ne détient pas l'exclusivité d'un moi fragile. Un paradoxe réside dans le fait que ce que l'on a qualifié au cours des échanges de « palliatif à long terme » va bien au-delà des règles professionnelles communes, tout en s'appuyant sur les deux exigences constitutives de la Médecine Générale, qui sont l'appréciation aussi exacte que possible de la personnalité du sujet aussi bien que la connaissance de son histoire personnelle. Ainsi peuvent se découvrir les modes de défense positifs ou négatifs de tous ceux que nous devons considérer comme des humains plutôt que comme des malades. Il y a certes l'obstacle fréquent et difficilement contournable du déni mais l'on peut aussi découvrir et observer la démarche objective du retour sur le passé. L'évocation des évènements de vie enrichissants ou douloureux, l'analyse des satisfactions ou des regrets. Certes tous les patients ne sont pas prêts à suivre ce chemin mais chaque fois que nous pouvons accéder à la personne et l'aider à revivre son histoire nous l'aidons à vivre avant de mourir.
Louis Velluet Au lieu de se laisser enfermer dans la problématique de la faute triviale et de la culpabilité qui s'y attache, dérive fréquente lorsqu'on aborde le sujet des erreurs médicales, les intervenants de ce séminaire ont choisi de prendre un peu de hauteur. Bien que subsiste parfois un doute, le personnage mystérieux que l'on nomme « le médecin » est un être humain comme les autres, sujet à commettre des erreurs liées à ses conditionnements archaïques. Il est trop souvent passé sous silence que derrière toute vocation médicale peuvent se dissimuler des motions inconscientes hétérogènes. Ces mouvements lorsqu'ils sont méconnus constituent le terreau sur lequel prospèrent les aveuglements et les pertes d'objectivité sources d'erreurs Nous savons tous, parfois sans oser l'exprimer, que derrière le masque de l'extrême rigueur et de la surestimation du Savoir se cache souvent le désir ancien et impérieux de la Toute-Puissance. Sur le plan personnel autant surestimer ses capacités que vouloir tout dominer interpose un écran entre nous et la réalité. Dans le domaine de la science quand le Savoir devient Doctrine il occulte les phénomènes imprévus de la vie. De même derrière l'extrême implication compassionnelle il n'est pas rare de déceler le souvenir enfoui de morts considérés comme injustes, la transmission en héritage de deuils jamais réalisés. C'est ainsi que les legs traumatiques occultés, les séquelles des catastrophes familiales, entretiennent l'exigence des réparations permanentes et l'obligation de ne jamais mal faire. La culpabilité est aux aguets, cachée derrière la banalité du quotidien. Elle favorise l'erreur en perturbant l'objectivité du regard. Ces tableaux caractéristiques, si affirmés, sont des images extrêmes mais ils sont en fait la représentation de ce qui peut cohabiter et alterner dans nos profondeurs. Nous nous sommes en effet construits, pour la plupart d'entre nous, dans cette ambivalence. Les erreurs que nous commettons peuvent aussi bien tenir à la croyance abusive dans un savoir intouchable qu'à un vécu émotionnel qui nous aveugle. Cette première approche qui pourrait sembler à certains lecteurs trop abstraite, trop théorisante, éloignée de la réalité quotidienne, est pourtant essentielle pour aborder le sujet épineux des erreurs médicales. C'est en effet le déchiffrage des interactions permanentes entre la construction d'un savoir bien identifié et crédible et le jeu des mouvements incessants et imprévisibles de notre vie émotionnelle et pulsionnelle qui peut nous permettre d'être au plus près de la vérité. Dans le cadre de la Médecine de Famille, à l'inverse des certitudes magistrales, la réalité scientifique doit se construire progressivement et se reconstruire chaque jour en fonction de l'inconnu imprévu. Une vérité s'élabore certes mais elle ne doit, jamais faire abstraction des acquis formalisés. Le schéma d'une médecine idéale devrait donc résider dans l'absolu nécessité de la coexistence entre les deux modes de pensée aussi bien au sein de la science médicale classique que dans nos mondes psychiques foisonnants. Dans un équilibre parfait la reconnaissance et le lien devraient s'établir entre la médecine savante qui propose des constructions intellectuelles sécurisantes et la médecine- de la vraie vie qui renvoie à l'imprévu, à l'ignoré, à l'inconnu. Une digression s'impose ici. Pour que les progrès scientifiques tels que la réunification de notre univers médical et la prise de conscience de l'unicité psychosomatique du sujet humain puissent produire des effets il importe que l'organisation sociale s'y prête. Or notre monde tend à être régit par un mélange d'intellectualisme prétentieux et de technicité sans lien avec le réel. L'univers médical n'échappe pas à cette pathologie. Les interventions ont pointé la fréquence avec laquelle le lien avec l'autre s'est perdu, aussi bien dans nos grandes institutions qu'à l'extérieur, et combien l'impossibilité d'accéder à un langage partagé joue un rôle fondamentalement nocif. Il est finalement apparu au fil de l'analyse des observations présentées dans le séminaire que notre comportement est certes souvent conditionné par l'exigence de la perfection, ou le respect excessif des règles parfois obsolètes. II semble pourtant que ce que nous appelons les erreurs médicales soit plus souvent lié aux effets sous-estimés des idéologies dominatrices et de nos croyances inconscientes qu'à l'ignorance ou au défaut de sensibilité.
Louis Velluet Le choix du thème de ce séminaire ne s'est pas fait sans une certaine réticence. Réticence qui peut paraître étonnante si l'on se réfère à l'extrême fréquence des associations symptomatiques dans cette zone corporelle. Peut-être était-ce lié inconsciemment au fait que l'on abordait cette pathologie, très souvent féminine, sans bénéficier d'un cadre théorique clairement défini. Autre cause possible, plus profonde. le lien avec toute une mémoire pulsionnelle archaïque. Dans la pratique quotidienne il n'est pas toujours facile d'être confronté à notre propre vécu corporel sous-jacent. La répétition des manifestations pathologiques polymorphes, le recours fréquent aux interventions techniques ou chirurgicales nécessitent une prise de distance pour faire bénéficier les patient(e)s d'une thérapie cohérente. S'il est habituellement difficile d'assembler les symptômes observés dans un tableau clinique synthétique, il est d'autre part important d'avoir conscience que leur intrication habituelle ne concerne pas seulement le domaine des troubles physiques. Aborder ce domaine suppose de prendre en compte également toutes les implications psychologiques ou psychosomatiques que recèlent ces patient(e)s. Dans ce domaine de la pathologie le fouillis symptomatique semble parfois avoir pour but d'occulter les déséquilibres vitaux profonds. L élaboration patiente au cours des deux journées du séminaire a contribué à mettre en lumière le paradoxe qui consiste à prendre en charge simultanément une multitude de symptômes physiques objectivement repérés tout en sachant qu'ils sont intimement liés à la vie sexuelle des patient(e)s laquelle les détermine en tant que sujet humains. Le problème de la construction de cette identité sexuelle est apparu comme sous-jacent, sans pourtant qu'il apparaisse dans le discours des patientes, qu'il soit enfoui dans leur inconscient ou qu'un interdit, ou un déni, les empêchent de le verbaliser. Un objectif de la relation thérapeutique réside donc dans le travail de mise à jour des conditionnements premiers. Un deuxième objectif, intimement lié étant le repérage dans l'évolution et l'histoire des patientes de tout ce qui peut être de l'ordre de l'incestuel. Les échanges du séminaire ont insisté sur ce point. Quelques lieux communs déjà bien établis concernant le suivi des patients hommes n'ont pas manqués de se glisser parmi les élaborations. Ainsi leur difficulté à s'ouvrir simplement, leur façon habituelle de se tenir à distance, voire de s'échapper, qui ne facilitent pas le suivi. C'est habituellement par l'intermédiaire de leurs partenaires qu'ils restent présents. Le lien entre l'urinaire et le génital semble plus difficile à établir dans cette population masculine. Curieusement, la prostate n'est jamais apparue ni son impact sur l'activité sexuelle. Peut-être est-ce cette façon de se replier dans le silence qui nous empêche souvent de porter sur eux un regard clinique constructif. Ce qui nous ramène à notre questionnement précédent : où sont les pères et surtout comment se comportent-ils ? Quoiqu'il en soit nous laisserons au lecteur le soin de tirer de tout cela sa conclusion en espérant que les textes et les commentaires de ce numéro lui feront percevoir la richesse du travail intellectuel et la vie des échanges qui ont caractérisés ce séminaire.
Louis Velluet Quelle est, de la surcharge pondérale géante ou de l'anorexie meurtrière, celle qui nous semble la plus sujette à nous faire perdre confiance dans nos capacités aussi bien que dans la pertinence de la Science Médicale ? La question n'est bien sûr pas innocente car la réponse va de soi. Devant ces variétés cliniques si spectaculaires. illustrées par exemple dans l'histoire par les saintes anorexiques (1) ou dans la littérature par Rabelais, devant ces prises en charge infiniment complexes notre malaise peut avoir la même tonalité d'impuissance infériorisante. Aussi bien dans les textes présentés au cours de ce séminaire que dans les discussions qui les ont suivi s'est exprimée une perplexité récurrente devant les efforts considérables de nos confrères hospitaliers ou spécialistes et la médiocrité des résultats constatés dans notre espace de vie professionnel. Comment expliquer que nous ayons si peu d'hypothèses cohérentes concernant tout autant ce qu'il en est des anomalies biologiques qui sous-tendent l'énorme obésité que les troubles psychiques qui sous-tendent l'anorexie ? Elles sont enfouies dans des discours incertains et trop souvent remplacées par le recours au charcutage du corps dans l'obésité et l'usage de la psychiatrie pour l'anorexie. Or, contre toute attente il est pourtant apparu à l'analyse des travaux cliniques présentés que, même dans les tableaux les plus hors normes, peuvent se produire des changements importants et imprévus. Cela au cours d'un suivi à long terme et quelles que soient les thérapeutiques chimiques ou physiques utilisées par ailleurs. L'observation proche pendant des décennies permet par exemple de repérer les liens entre les évènements de vie, qu'ils soient positifs ou négatifs, et les variations de l'équilibre pondéral. C'est à travers elle que l'on peut identifier les modes différents de relation qui peuvent s'avérer protecteurs aussi bien que thérapeutiques. Il est devenu évident au terme des échanges qu'il était important de surmonter dans l'approche des troubles pondéraux un pessimisme ambiant. Si, comme on a pu l'observer dans tous les cas présentés, l'approche relationnelle authentique est particulièrement difficile dans ce domaine, elle n'exclut pas la possibilité de mettre en place le processus psychosomatique positif spécifique de notre pratique. Que nous ayons à prendre en charge des cas extrêmes ou des tableaux moins spectaculaires nous pouvons commencer à discerner un certain nombre de règles méconnues. C'est ainsi qu'il est absolument essentiel de maîtriser notre désir de guérison à tout prix. Ceci est spectaculairement vrai en ce qui concerne l'anorexie où les tentatives d'approche empathique positives réveillent paradoxalement l'interdit de vivre, [instinct de mort présent au fond des patientes. Une autre exigence théorique concerne égaiement nos dispositions affectives. Les racines archaïques de la pulsion orale réclament une réponse contre-transférentielle empathique particulière qui interdit les colorations excessives. tant négatives que positives. L'exigence thérapeutique exclut aussi bien l’investissement affectif mal maîtrisé que les regards peu investis ou absents. Sans omettre les jugements esthétiques négatifs dont nous pouvons être plus ou moins conscients. La mère idéale qui garantit et entretient la vie à l'origine doit avoir refoulé les traits singuliers qui la caractérisent. Elle doit s'identifier à un lieu clos et protecteur où règnent l'acceptation et la bienveillance, la reconnaissance de l'autre en tant que sujet original et digne d'intérêt. C'est sans doute l'intégration de ce modèle qui aide parfois le médecin de famille. sans qu'il en soit forcément conscient, à modifier profondément certaines évolutions. Enfin, en avançant encore. et pour aller au-delà de la pensée strictement cantonnée à la Loi Médicale, il est important de se poser la question de la normalité. Est-il possible d'admettre que ce qui est vrai pour l'un ne Lest pas pour l'autre ? Est-il aberrant d'imaginer qu'il peut exister un poids spécifique à chaque individu, et peut-être à chaque ethnie, qui n'est pas forcément celui qui correspond à nos convictions savantes ? Ce poids spécifique pouvant être en lien avec des conditionnements ontogénétiques et épigénétiques différents. Pourquoi vouloir s'entêter à penser que les humains doivent tous être semblables comme s'ils sortaient du même moule ? L'auteur de ces lignes a conservé précieusement en lui un souvenir des dames berbères des montagnes du sud marocain, petites et rondes, aussi enrobées que débordantes d'énergie pour glorifier la vie à travers les chants traditionnels (1) Cette forme clinique dont l'étude est passionnante est négligée par les chercheurs. Elle s'observe à toutes les époques y compris la nôtre. Un cas historique exemplaire est celui de Catherine de Sienne (1347-1380) qui se nourrissait d'une hostie en attendant le ciel, mais il y a dans notre pété de nombreux exemples identiques occultés (voir « Maria » page 67)
ARG : l'éclat la blancheur (Racine indo-européenne) Louis VELLUET Prendre l'argent comme sujet d'étude n'est pas sans risque. Ce thème suscite dans nos sociétés depuis toujours la production d'un éventail de discours allant des plus abstraits aux moins contrôlés, des élaborations savantes aux multiples variantes de la théorie du complot. Dans le domaine de la Médecine de Famille il engendre, comme le verra dans ce numéro, une perplexité récurrente. Comment concilier les réactions contradictoires qui nous traversent ? Nous oscillons entre la conviction profonde que notre activité est d'une importance particulière, vitale, pour l'équilibre de la société, qu'il est juste qu'elle soit récompensée, et un doute parfois lancinant concernant les exigences éthiques de notre position. Il est vrai que ce doute est entretenu par la conscience que nous avons des sentiments de supériorité et de légitimité hypocritement dissimulés chez beaucoup de professionnels de la santé institutionnels et par les croyances des hommes ( ou femmes ) politiques ignorants des vérités biologiques les plus simples. Beaucoup de médecins de famille sont ainsi hantés par des questions qui remettent perpétuellement en cause les termes du serment d'Hippocrate. Sommes-nous autorisés à retirer un grand bénéfice de notre travail ? Ne devrions-nous pas être sans trêve au service des malheureux malades, des pauvres qui souffrent, sans exiger plus qu'une légère indemnité dispensée par un pouvoir administratif sans visage ? Est-il encore convenable d'accepter de la main à la main un chèque ou, pire encore, un billet de quelques euros? Ces questions, implicites dans beaucoup d'observations présentées au cours de ce séminaire, ont été débattues. Nous n'avons pas la prétention de leur apporter des réponses indiscutables mais un retour aux sources va peut-être nous aider à y voir plus clair. La relation humaine ne peut se concevoir que comme un échange. Si, dès sa naissance chaque être humain est en demande de l'amour qui assure sa sécurité et sa survie l'évolution normale suppose qu'il apprenne peu à peu à donner quelque chose en échange de ce qu'il reçoit et qu'il attende quelque chose en échange de ce qu'il apprend peu à peu à donner. L'anthropologie a depuis longtemps éclairé ces aspects fondamentaux des échanges humains. Au fil du temps, avec l'entrée dans la vie sociale, l'argent va à la fois concrétiser et symboliser cet échange dans tous les domaines de la relation humaine. Il est, de façon indissociable, l'objet au sens matériel du terme et le lien avec « l'objet humain » au sens où l'entend la psychanalyse. Plus l'argent se transforme en une abstraction plus les risques de constructions fantasmatiques ou idéologiques délinquantes ou meurtrières sont à craindre. Nous avons vécu cela avec le communisme, nous le vivons tous les jours en observant le monde de la finance. Si l'on accepte de porter un regard scientifique sur la relation médicale et sa fonction essentielle pour la survie de l'espèce on découvre que toutes les constructions psycho-philosophico-sociologiques s'effondrent comme des châteaux de cartes. Il s'avère indiscutable que dans la rencontre de tous les jours, dans la vraie vie, l'effet bénéfique de l'interaction ne repose pas que sur des formatages primaires ou sur des protocoles abscons mais sur un échange dans la réalité physique et affective et que cet échange (« le don et le contre-don ») doit être symbolisé par un élément concret authentifiant la valeur du geste thérapeutique. Un certain Michael Balint avait déjà élaboré sa théorie, autour des années cinquante, en tenant compte de cette réalité biologique.
Louis VELLUET Dans l'esprit des organisateurs de ce séminaire son objectif était l'approche clinique en Médecine de famille du devenir, à travers les temps de la vie, des patients victimes, potentielles ou reconnues, des pathologies transmissibles, qu'elles soient physiques, métaboliques ou psychiques . Comment vivaient-ils la menace suspendue, comment géraient-ils le mal installé ? L'hypothèse la plus vraisemblable être que cela susciterait la présentation d'exposés cliniques concernant les affections les plus socialement redoutées telles que les cancers ou les affections neurologiques irrémédiables. Pourtant, et cela tient sans doute au processus de recherche clinique qui est mis en œuvre dans les séminaires de l'Atelier, il n'en a pas été uniquement ainsi. Le travail n'a pas seulement concerné les modes d'adaptation des patients aux grandes pathologies classiques et les comportements thérapeutiques des médecins de famille qui favorisent ces adaptations, mais des phénomènes habituellement ignorés ou passés sous silence. Il a ainsi été traité, non pas seulement des pathologies avérées, mais également des impasses diagnostiques crées par les incertitudes de la transmission génétique. Les modulations de l'expression du génome en fonction de l'environnement, longtemps ignorées ou mises en doute, sont de mieux en mieux déchiffrées (1). Les variations de l'organisation biologique du sujet humain ont été l'un des fils récurrents de la discussion. Ainsi donc, dans le domaine de la transmission, hormis les pathologies très identifiées, le pire n'est pas toujours sûr. Une conséquence de cette réalité scientifique est le risque de confusion, toujours latent dans l'esprit de tous les humains qu'ils soient patients ou même parfois médecins, entre les transmissions physiques, génétiques, et les transmissions psychologiques ou psychosomatiques. Les empreintes indélébiles laissées dans nos inconscients par la fusion de nos premiers temps de vie donnent à certains comportements répétitifs le caractère d'une fatalité innée et indestructible. Un des acquis de ce séminaire a été, comme on va le voir, de montrer à quel point les incertitudes liées à la plasticité du vivant rendent difficile l'approche rationnelle des maladies héréditaires. En ce qui concerne l'abord clinique quotidien tout un temps de la réflexion s'est organisé autour des différentes façons dont les patients peuvent méconnaître ou occulter ce qui pourrait passer pour infériorisant ou honteux. L'occultation peut se présenter sous la forme du déguisement des transmissions pathogènes en maladies socialement acceptables. C'est ainsi qu'un mode d'adaptation défensive peut consister à rendre des événements de vie ou des maltraitances responsables des troubles héréditaires. Notre époque, si riche en persécutions et en génocides, favorise ce processus. L'accent a également été mis sur un phénomène peu étudié qui est peut-être le plus instructif pour les médecins généralistes. Il s'agit de cette sorte d'acharnement avec lequel certains patients utilisent tous les moyens de dépense physique et d'activités de tout genres, non pas tant comme un déni de ce qu'ils portent en eux que comme un défi inconscient, une explosion de vie protectrice. Ce phénomène doit nous inciter à mettre en cause certaines de nos convictions. Il apparaît souvent, lorsque nous prenons du recul, que nous craignons parfois plus pour les patients qu'ils ne craignent réellement pour eux-mêmes. A ce jour personne à notre connaissance n'a osé aborder le délicat problème des effets physiologiques de la suggestion. Pour dissiper toute équivoque, nous faisons ici allusion aux modifications positives de l'homéostasie et aux régulations des processus du syndrome d'adaptation liés aux accrochages transférentiels de l'inconscient des patients sur le personnage médical au « supposé-pouvoir ». On imagine sans peine les controverses que pourrait susciter un questionnement sur les incidences positives ou négatives des convictions intimes des soignants sur la durée de survie. Peut-être est-il bon néanmoins de rappeler en conclusion que si l'Homo Sapiens a survécu depuis l'origine ce n'est pas grâce à la médecine mais bien grâce à la riche complexité des liens interhumains.
(1) voir sur le sujet « Biologie des émotions » de Catherine Belzung (Ed.DeBoeck)
Louis VELLUET Lorsqu'on a fait le choix de la médecine de proximité, lorsqu'on est immergé dans le milieu de vie des humains au quotidien, un problème essentiel qui se pose est de concilier l'exercice de la responsabilité personnelle réellement assumée, qui est la spécificité de ce cadre, et l'efficacité thérapeutique. Pour être absolue cette dernière supposerait un savoir exhaustif que nul, quelle que soit sa position dans l'univers médical, ne peut se vanter de posséder. Une difficulté majeure est donc de concilier ces deux exigences. De façon récurrente le praticien s'interroge : dois-je me faire confiance et continuer d'assumer seul la responsabilité de la thérapeutique dans ce domaine précis ? Dois-je au contraire déléguer une part de cette responsabilité au risque de distendre le lien vital établit avec le patient et de perturber la prise en charge psychosomatique ? Dans un monde idéal l'ensemble des acteurs saurait qu'un élément essentiel de l'équilibre biologique des individus et des groupes familiaux est l'existence d'un référent humain bien individualisé. Sur lui peut se projeter un transfert inconscient archaïque à la fois sécurisant et physiquement opérant. Nous ne vivons pas, malheureusement, dans un monde idéal, le développement démesuré de toutes les techniques d'investigations aussi bien que des thérapeutiques tend à occulter le fait que le lien humain demeure une des garanties de la survie. Notre époque peut malheureusement être en effet décrite comme celle de « la collusion de l'anonymat » et de « la dilution des responsabilités » comme l'a très justement théorisé Michael Balint. Un risque permanent demeure que le professionnel enfermé dans une institution et un domaine médical particuliers, quelles que soient leurs étiquettes, s'arroge incognito le droit de prendre possession d'individus anonymisés. Ce processus est de nos jours plus particulièrement observable dans le domaine de l'oncologie et sans doute plus encore, paradoxalement, dans celui de la psychiatrie. Ce n'est donc pas par hasard si les histoires cliniques présentées et étudiées dans ce séminaire ont concerné principalement ces deux domaines. Il est difficile de mesurer les effets dévastateurs des terreurs primitives dissimulées derrière les rideaux de scènes chatoyants de notre science. II est vrai qu'ils ne sont pas susceptibles d'évaluations chiffrées, les mouvements émotionnels s'éprouvent, ils ne se quantifient pas. II est pourtant frappant d'observer souvent des remaniements évolutifs positifs lors des prises en charge psychanalytiques classiques ou s'appuyant sur cette théorisation. Bizarrement, il arrive que les marqueurs de telle affection maligne redescendent au niveau zéro au cours du retour analytique en profondeur sur la vie d'un sujet ; Bizarrement, il arrive qu'un sujet étiqueté schizophrène, durement neuroleptisé et electrochoqué durant quelques années, retrouve un comportement humain et une vie normale après quelques séances avec un thérapeute sensible et sans préjugés théoriques, rencontré par hasard. (1) Mais, comme on va le voir, le problème posé ne concerne pas seulement le domaine des affections graves ou mystérieuses. Chaque jour, pour chaque patiente ou patient, nous avons à prendre conscience de l'importance que revêt notre présence dans sa vie et de la responsabilité que cela nous confère. Notre problème n'est alors pas seulement le choix à faire entre les différentes technicités mais plutôt, et surtout, la nécessité de préserver dans chaque situation la relation interhumaine condition de la perpétuation de l'espèce. (1) Nous évoquons ici deux observations récentes particulièrement démonstratives qui sont venues s'ajouter à beaucoup d'autres
Louis VELLUET Depuis de nombreuses années, à vrai dire depuis leur création, les séminaires de l'Atelier ont mis un point d'honneur à aborder les sujets les plus difficiles de la façon la plus scientifique possible. La procédure qui s'est imposée a consisté à aborder les différents thèmes en éliminant avec soin toute trace de l'abord intellectualisé, abstrait, trop souvent d'usage en France, au profit du regard clinique, de l'observation approfondie des phénomènes in situ. C'est ce que nous nous sommes efforcés de faire une fois encore en abordant le sujet délicat qui est celui de la naissance Le discours magistral tel qu'il a cours dans le monde de la Médecine favorise en effet la constitution de croyances, d'injonctions dogmatiques intouchables qui négligent les inévitables variations liées à la plasticité spécifique de l'être humain. Plus grave encore est son ignorance du fait que le thérapeute est inévitablement, dès lors que la relation est individualisée, une présence physiquement opérante par le biais des transmissions empathiques fonctionnant sur un mode archaïque comme nous l'ont confirmé les neuro-sciences. Si nous insistons sur cet aspect théorique c'est parce qu'il apparaît fondamental d'en prendre conscience lorsqu'on aborde le domaine étudié dans le séminaire dont nous rendons compte. Tout ce qui tourne autour de la naissance, de la conception à l'accouchement et aux premiers mois de la vie, ne peut se concevoir sans un retentissement profond, biologique, chez le thérapeute qui s'implique. Que ce phénomène soit vécu de façon consciente ou occulté par un mécanisme défensif il est inévitable. Ce n'est pas sans raison que certains de nos confrères fuient les femmes enceintes et les nourrissons. Pourtant il est non seulement important de souligner, comme cela se fait habituellement, combien l'arrivée du nouvel être modifie les équilibres mentaux du groupe humain qui l'entoure, à commencer par celui de la parturiente, mais il est également capital de comprendre qu'une personnalité médicale proche, si elle entre en résonance, peut jouer un rôle essentiel. Elle a de ce fait la capacité d'intervenir de façon décisive dans le maintien de l'équilibre, et même si cela peut paraître prétentieux, « la survie » psychique de la mère. Par voie de conséquence elle protège le développement harmonieux de l'enfant. La dépression post-partum, qui suscite encore tant d'interrogations, est un exemple frappant du bouleversement qui peut se produire dans les profondeurs de l'inconscient féminin. Peuvent alors ressurgir, dans un mouvement régressif irrésistible, des questions jamais posées puisqu'elles trouvent leur origine dans l'univers inorganisé de nos premiers temps de vie, avant la parole. Ai-je été désirée ? Ai-je été aimée ? Suis-je légitime et donc ai-je le droit de transmettre la vie ? Le monde de la psychologie ne s'est guère attardé (du moins à notre connaissance) sur cette problématique pourtant clairement apparente, ou implicitement présente, dans nombre d'observations présentées au cours des deux journées de travail du séminaire. Combien de fois avons-nous entendu dans notre pratique cette phrase d'une patiente : « je n'ai jamais voulu d'enfant », en devinant, à travers quelques bribes de confidences échappées ce que cette affirmation pouvait recouvrir d'absence d'amour reçu, de violences psychologiques sadiques subies et de douleurs enfouies qui ne seront jamais exprimables. Dans l'inconscient humain la « castration symbolique », chère à toutes les chapelles psychanalytiques, n'est en réalité jamais symbolique. L'interdit de vivre et de procréer se met en place très tôt. Il est signifié par l'entité haineuse qui habite parfois malheureusement nos géniteurs Les sujets féminins sont en risque de le subir peut-être plus encore que leurs doubles masculins. Les différentes présentations cliniques et les interventions qui les ont suivies ont heureusement eu l'intérêt (et le mérite) de mettre l'accent sur la double fonction de protection et de garant de l'épanouissement de la vie qui doit être assumée par celui qui est à la fois le plus proche et le plus investi, à savoir le père. Mais elles ont également mis en lumière le fait que la position du médecin de famille est la seule, qui à la fois l'expose à être confronté chaque jour au monde chaotique des désirs et des interdits, mais également qui lui permet, quel que soit son sexe, s'il en est conscient et s'il l'accepte, de renforcer la fonction paternelle, d'aider le Père à tenir sa place et à être le garant de la Loi qui fixe les règles de vie.
Louis VELLUET Le thème qui a été choisi pour ces XXXlllèmes Journées de Communications de l'Atelier est un des plus difficiles à aborder. Accepter de reconnaître l'omniprésence de la peur dans le cadre de la formation à la pratique médicale et de son exercice peut être déstabilisant. Le rappel des comportements irraisonnés qu'elle peut susciter est rarement bien supporté, comme le souligne la sagesse populaire. Beaucoup de penseurs depuis l'origine de la civilisation ont souligné, que ce soit sous la forme d'un discours philosophique ou de la littérature, que vivre c'est aussi porter en soi la peur, le plus souvent impensable ou indicible, de la mort. Nous survivons dans le déni et de nos jours le psychanalyste Jacques Lacan a illustré cela, dans une formule souvent reprise, en avançant que la passion la plus ancrée au coeur de l'être humain est celle de la méconnaissance. Depuis des millénaires toutes les religions et certaines philosophies, quels que soient les déguisements qu'elles utilisent, tentent d'exorciser cette peur. Il y a les constructions imaginaires décrivant les paradis auxquels nous auront droit « après ». Il y a les diverses formes de croyances à la réincarnation. Tout cela ne serait qu'anecdotique si une dérive perverse de ces constructions ne prônait pas souvent l'interdit de la jouissance sous toutes ses formes pour mériter la récompense à venir. Nos civilisations, qu'elles soient orientales ou occidentales, ont vu fleurir de façon répétitive ces lieux de non-vie, qu'ils se nomment ashrams ou monastères. En dépit de certaines apparences, ou de certains discours sirupeux, ce mouvement de pensée défensif peut s'exercer de façon violente et caricaturale dans l'univers médical. L'exemple du monde hospitalier est particulièrement frappant. Depuis l'introduction des formations psychologiques en groupe Balint, au profit des étudiants occupant leur première fonction hospitalière d'externes (1) nous disposons d'une majorité de témoignages parfaitement concordants. Les cas cliniques présentés par les participants de ces groupes concernent certes les difficultés personnelles liées à leurs premières rencontres avec les patients, mais un thème conjoint omniprésent est toujours celui de leur difficulté à accepter l'attitude, le plus souvent inadaptée, de leurs « seniors ». Toutes les variantes des comportements défensifs engendrés par la peur inavouée sont inévitablement décrites. Le regard naïf des jeunes projetés dans cet univers étrange appelé « hôpital » décèle très vite la violence psychologique exercée, la grossièreté, le mépris ou l'indifférence, cette dernière traduisant la forme la plus fréquente de l'évitement. Le faire-semblant est la règle, il illustre l'incapacité à faire face à une réalité qui pourtant nous concerne tous. Le psychiatre et psychanalyste belge Philippe Meerbeek décrit tout cela avec une verve incisive dans un ouvrage paru récemment (2). En choisissant la peur comme sujet d'étude notre propos était d'élargir le champ de la réflexion et d'observer la façon dont elle se manifeste dans le milieu biologique des humains, dans l'univers naturel ou le recours habituel peut être cette variété étrange de praticiens que l'on appelle habituellement dans tous les pays du monde - à l'exception de la France - « médecins de famille ». Comment ces derniers ressentent-ils la peur, celle de leurs patients et la leur ? Qu'en disent-ils quand ils trouvent un lieu protégé où ils peuvent l'exprimer ? Comment y font-ils face et de quelle façon arrivent-ils à l'apprivoiser ? A nos lecteurs de voir si ce qui transparaît dans les textes et les discussions résonne en eux. (1) U.F.R. Léonard de Vinci de Bobigny 1975 Voir à ce sujet le travail de recherche de Léon Chertok et Odile Bourguignon « Vers une autre médecine » Privat (1977) (2) « L'inentendu » de Philippe Meerbeek et Jean-pierre Jacques (De Boeck.2009)
Louis VELLUET L'accent a été mis avec insistance ces dernières années sur les États de Stress Post-Traumatiques (ESPT). Les conséquences à long terme sur les sujets impliqués dans des accidents, ayant entraîné en particulier des morts violentes, ont fait l'objet de nombreux travaux. Par contre, si ce syndrome a été très popularisé, un domaine de la pathologie moins spectaculaire mais tout aussi important reste toujours dans l'ombre. Les conséquences fréquentes et sévères des traumatismes liés à toutes les péripéties de la vie humaine restent, pour la plupart d'entre elles, méconnues. C'est à ce sujet difficile que le séminaire a voulu se confronter. Il est vrai que le nombre et la diversité des circonstances traumatiques affrontées au cours de l'existence rendent difficile une présentation synthétique. Pourtant la mort, ou la crainte de sa survenue, font partie de notre quotidien même si nous vivons habituellement dans un climat de déni protecteur indispensable. Derrière ce déni peuvent malheureusement se dissimuler des pathologies insoupçonnées. Tous les deuils subis, qu'ils soient physiques ou psychologiques, toutes les affections répertoriées, qu'elles soient infectieuses, dégénératives ou malignes, toutes les agressions quelle que soit leur nature devraient, dans l'idéal, être pensées clairement a posteriori par le sujet qui les a subis. Ce travail de réflexion puis d'intégration claire dans la mémoire accessible est capital, il est loin d'être toujours réalisé. Tous les fantasmes refoulés, toutes les émotions non exprimés sont alors susceptibles d'entraîner des séquelles d'autant plus dangereuses qu'on les ignore ou qu'on les sous-estime. Le danger est ici d'autant plus redoutable que, contrairement à la doctrine largement propagée en ce qui concerne les effets du Stress, la pathologie engendrée ne se limite pas à des troubles psychologiques, ou à toutes les formes cliniques de la dépression, mais qu'elle affecte tous nos équilibres vitaux. La difficulté rencontrée pour aborder ce domaine et faire percevoir toute son importance tient pour beaucoup à une conception traditionnelle qui persiste malgré les apports de la recherche depuis quelques décennies. La pensée médicale classique semble toujours se refuser à établir des liens de causalité entre les différentes pathologies. Elle se limite à inventer des tableaux cliniques, expliqués par des étiologies physico-chimiques présentées comme indiscutables mais qui ne sont que des explications de surface. Le descriptif, « le comment », l'emporte toujours sur « le pourquoi ». Bref, elle en reste toujours à l'apparence, quelles que soient les ouvertures que lui propose l'approche scientifique. Celle-ci insiste pourtant sur l'unicité du sujet humain et objective chaque jour davantage les interactions psychosomatiques inévitables qui ponctuent notre trajet depuis la naissance. Il est vrai qu'il faut souvent des mois de patience, parfois même des années, pour faire le lien entre ce que nous observons au quotidien et les blessures anciennes auxquelles le sujet n'a plus accès. Nous nous désolons de ne rien comprendre mais nous acceptons les plaintes répétitives ou les pathologies qui se succèdent sans liens apparents entre elles. Nous ne pouvons avoir recours aux habitants de la planète Psy pour nous aider, nos patients refusent systématiquement d'entreprendre le voyage. Cela jusqu'au jour où, un geste inhabituel, une émotion inattendue, un souvenir qui échappe au patient malgré lui ouvrent une voie étroite mais précieuse. C'est alors à nous, médecins de famille, que revient le délicat travail de découverte puis d'approche de la zone où le sujet a laissé la part la plus vivante de lui-même. Puis de l'inciter à y revenir sans peur. C'est certes la tâche la plus difficile qui soit, mais que l'exercice de la médecine serait donc ennuyeux s'il n'incluait pas aussi dans ses objectifs le déchiffrement de ces vérités profondes occultées qui maintiennent trop souvent les existences des humains dans des impasses.