Louis VELLUET
L'accent a été mis avec insistance ces dernières années sur les États de Stress Post-Traumatiques (ESPT). Les conséquences à long terme sur les sujets impliqués dans des accidents, ayant entraîné en particulier des morts violentes, ont fait l'objet de nombreux travaux. Par contre, si ce syndrome a été très popularisé, un domaine de la pathologie moins spectaculaire mais tout aussi important reste toujours dans l'ombre. Les conséquences fréquentes et sévères des traumatismes liés à toutes les péripéties de la vie humaine restent, pour la plupart d'entre elles, méconnues. C'est à ce sujet difficile que le séminaire a voulu se confronter.
Il est vrai que le nombre et la diversité des circonstances traumatiques affrontées au cours de l'existence rendent difficile une présentation synthétique. Pourtant la mort, ou la crainte de sa survenue, font partie de notre quotidien même si nous vivons habituellement dans un climat de déni protecteur indispensable. Derrière ce déni peuvent malheureusement se dissimuler des pathologies insoupçonnées.
Tous les deuils subis, qu'ils soient physiques ou psychologiques, toutes les affections répertoriées, qu'elles soient infectieuses, dégénératives ou malignes, toutes les agressions quelle que soit leur nature devraient, dans l'idéal, être pensées clairement a posteriori par le sujet qui les a subis. Ce travail de réflexion puis d'intégration claire dans la mémoire accessible est capital, il est loin d'être toujours réalisé. Tous les fantasmes refoulés, toutes les émotions non exprimés sont alors susceptibles d'entraîner des séquelles d'autant plus dangereuses qu'on les ignore ou qu'on les sous-estime.
Le danger est ici d'autant plus redoutable que, contrairement à la doctrine largement propagée en ce qui concerne les effets du Stress, la pathologie engendrée ne se limite pas à des troubles psychologiques, ou à toutes les formes cliniques de la dépression, mais qu'elle affecte tous nos équilibres vitaux.
La difficulté rencontrée pour aborder ce domaine et faire percevoir toute son importance tient pour beaucoup à une conception traditionnelle qui persiste malgré les apports de la recherche depuis quelques décennies. La pensée médicale classique semble toujours se refuser à établir des liens de causalité entre les différentes pathologies. Elle se limite à inventer des tableaux cliniques, expliqués par des étiologies physico-chimiques présentées comme indiscutables mais qui ne sont que des explications de surface. Le descriptif, « le comment », l'emporte toujours sur « le pourquoi ». Bref, elle en reste toujours à l'apparence, quelles que soient les ouvertures que lui propose l'approche scientifique. Celle-ci insiste pourtant sur l'unicité du sujet humain et objective chaque jour davantage les interactions psychosomatiques inévitables qui ponctuent notre trajet depuis la naissance.
Il est vrai qu'il faut souvent des mois de patience, parfois même des années, pour faire le lien entre ce que nous observons au quotidien et les blessures anciennes auxquelles le sujet n'a plus accès. Nous nous désolons de ne rien comprendre mais nous acceptons les plaintes répétitives ou les pathologies qui se succèdent sans liens apparents entre elles. Nous ne pouvons avoir recours aux habitants de la planète Psy pour nous aider, nos patients refusent systématiquement d'entreprendre le voyage.
Cela jusqu'au jour où, un geste inhabituel, une émotion inattendue, un souvenir qui échappe au patient malgré lui ouvrent une voie étroite mais précieuse.
C'est alors à nous, médecins de famille, que revient le délicat travail de découverte puis d'approche de la zone où le sujet a laissé la part la plus vivante de lui-même. Puis de l'inciter à y revenir sans peur.
C'est certes la tâche la plus difficile qui soit, mais que l'exercice de la médecine serait donc ennuyeux s'il n'incluait pas aussi dans ses objectifs le déchiffrement de ces vérités profondes occultées qui maintiennent trop souvent les existences des humains dans des impasses.