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ATELIER FRANCAIS DE MEDECINE GENERALE

  • 25 Aug 2024 11:07 PM | Benoît Raynal (Administrator)

    Sylvie, un exemple d’authenticité, de gentillesse, une empathie qui n’avait d’égal que son éthique, mais non, j’oubliais son sens des responsabilités et de l’engagement.

    Sylvie apportait à l’Atelier toutes ces qualités et les cas qu’elle exposait impliquait de sortir des sentiers battus et nous obligeaient à chercher plus loin pour tenter de trouver des « solutions », en tenant compte de l’histoire des patients, de leur situation sociale mais aussi de l’organisation sociale souvent délétère. Ses récits et leurs discussions sont disponibles sur le site de l’AFMG, dans la revue « l’Atelier ».

    Ce regard, cette approche exigeante qui lui étaient propres nous manquent.

    Nous avons suivi Sylvie dans son implication croissante dans la revue « Pratiques » qui est pour nous une référence incontournable et passionnante sur la santé et les professionnels qui l’exercent.

    Nous sommes bien tristes pour elle et ses proches qu’elle n’ait pas pu profiter plus longtemps d’une retraite pourtant bien méritée.

    Atelier Français de médecine Générale

  • 26 Nov 2019 12:01 PM | Benoît Raynal (Administrator)

    Récits de vie sur la souffrance au travail    
    La souffrance au travail    

    Burn out

        
    Analyse et commentaires de Marine de Chefdebien (UFR Paris-Ouest-UVSQ) et Aurélie Janczewski (UFR Aix-Marseille)     
    D'après une communication d'Annie Catu-Pinault (Paris)


    exercer 2016;127(suppl2):S44-5.    

    Contexte


    Dans un rapport de février 2007 sur la santé et la sécurité au travail, la Commission européenne souligne que la souffrance au travail est un problème prioritaire, et alerte sur l’ampleur grandissante du mal-être. « Les problèmes liés à une mauvaise santé mentale constituent la quatrième cause la plus fréquente d’incapacité au travail. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que, d’ici 2020, la dépression deviendra la principale cause d’incapacité de travail. »1. Le stress est le premier révélateur de la souffrance au travail. Ses signes cliniques sont nombreux : sentiment de surcharge, fatigue chronique, angoisse et insomnie, idées noires, culpabilité, difficultés de concentration, palpitations, émotivité exacerbée, consommation accrue de tabac et d’alcool, mal de dos, ulcère, troubles cardiovasculaires... Le stress peut se compliquer de dépression et mener au suicide. 30 % des salariés de l’Union européenne connaîtraient un niveau de stress trop élevé ; 28 % des cadres présenteraient un niveau de stress aigu2. La souffrance au travail correspond à un mal-être plus général, qui comprend également le surmenage, la fatigue, le harcèlement, les troubles somatiques, et les « risques psychosociaux »3.

    Objectif


    Illustrer différents aspects de la souffrance au travail à partir de cas cliniques vécus afin de faire émerger une théorie sur la chronologie de cette souffrance.

    Méthode


    Étude qualitative avec focus groups et groupe de type Balint. La population étudiée était un groupe de recherche et de formation préexistant, composé de douze médecins généralistes de toute la France et encadrés par deux animateurs médecins généralistes dont un psychanalyste. Il s’agissait d’un séminaire de 48 heures pendant lequel 9 cas cliniques vécus et écrits ont été discutés par associations libres et recherche de sens et de solutions. Tout le séminaire a été enregistré, puis les verbatims ont été retranscrits afin de permettre une analyse de type théorisation ancrée. Chaque histoire illustrait des aspects différents de la souffrance au travail. Les idées les plus marquantes ont ensuite été mises en valeur par les auteurs.

    Résultats

    Plusieurs étapes ont été abordées pour appréhender au mieux les différents aspects de la souffrance au travail ainsi que sa prise en charge.
    La description de la situation du patient, pour mieux comprendre pourquoi le patient a perdu la notion d’accomplissement dans son travail. Exemple pris d’une employée dans un restaurant, privée de l’accès à la caisse. « Elle a beaucoup plus de manutention, notamment du travail de plonge, soulever les caisses. Avant, l’encaissement était un moment privilégié pour elle où son entrain, sa familiarité étaient bien appréciés de ses clients. »
    La prescription d’arrêts de travail, vécue difficilement par les médecins, en raison de la place ambiguë du travail dans le monde actuel. « Qu’est-ce que je fais, des arrêts de travail ou des arrêts maladie ? Est-ce que c’est un acte médical ou administratif ? ». L’effet thérapeutique de l’arrêt de travail a cependant été reconnu par la grande majorité des participants.
    Le recours essentiel aux professionnels psychosociaux, qui possèdent d’autres domaines de compétence, pour une coopération interprofessionnelle dans laquelle le médecin généraliste reste le premier recours.

    Souffrance a u travail    


    « Je l’avais adressée parce que je pense toujours à des personnes plus compétentes que moi pour dénouer les choses personnelles intimes, pourtant c’est à moi qu’elle avait confié ce secret, c’était avec moi qu’elle continuait à être en lien. »
    La reconstruction et le changement des patients au cours de leur prise en charge, estimés comme parfois discrets et imperceptibles, qu’il faut apprendre à repérer en consultation. « Les patients ont des ressources insoupçonnées. »
    Résultat principal
    La souffrance au travail est la rencontre d’une situation de travail pathogène et d’une structure psychologique particulière.

    Commentaires


    La grande force de cette étude concernait le groupe interrogé, par rapport à la confiance établie car préexistante à l’étude et avec une approche pragmatique des médecins généralistes, avec une référence psychanalytique et sociologique. Les principales limites étaient l’absence de saturation des données et la non-naïveté du groupe sur le thème de la souffrance au travail. La plupart des participants avaient suivi des formations dans ce domaine préalablement à l’étude. La méthode choisie, la théorisation ancrée, est fondée sur la classification des verbatims. Les auteurs expliquent que l’identification de liens entre les différents verbatims permet d’établir une chronologie de la souffrance au travail. Ainsi certains traits de personnalité du patient peuvent émerger du fait de la souffrance au travail,
    même si cette personnalité préexiste à la souffrance. Les deux préalables sont donc l’organisation du travail et le lien avec l’enfance.
    Il s’agit donc à la fois d’une démarche diagnostique et thérapeutique : il faut rechercher les faits (surcharge de travail, harcèlement, modification des conditions de travail) et analyser le vécu du patient (personnalité, mécanismes de défense, contexte de vie, histoire familiale, etc.). La souffrance au travail naît donc de la rencontre entre ces deux éléments qui dysfonctionnent, créant ainsi le stress et ses conséquences. En tant que professionnels de santé, les leviers à notre disposition pour lutter contre cette souffrance sont l’arrêt de travail, les médicaments, les psychothérapies de soutien, et le temps, afin d’aboutir à un changement pour le patient. L’association « Souffrance et travail » fondée en janvier 2011 par un groupe de spécialistes sur la santé au travail, met à disposition sur un site Internet en accès libre des informations utiles à tous les acteurs du monde du travail, des salariés aux employeurs, des médecins du travail aux médecins généralistes, des inspecteurs du travail aux magistrats4.

    Références


    1. Commission européenne. Santé et sécurité au travail : les actions européennes et internationales. Rapport du 21 février 2007. Disponible sur : http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Chap_02. pdf [consulté le 20 août 2016].
    2. Combalbert N, Riquelme-Sénégou C. Le Mal-Être au travail. Paris : Presses de la Renaissance, 2006.
    3. Dortier JF. Le blues du dimanche soir. Sciences humaines 2008; 12.
    4. Souffrance & travail. Disponible sur : http://www.souffrance-ettravail.com [consulté le 13 septembre 2016].
    Volume 27    N° 127 (suppl 2)    exercer la revue francophone de médecine générale    45

  • 4 Nov 2018 9:25 PM | Benoît Raynal (Administrator)

    Louis Velluet


        Écrire sur Françoise Dolto expose l'auteur à un grand danger. Le déchaînement chez les professionnels de la psychologie d'une passion sauvage pour cette personnalité particulière et ses pratiques hors normes a été, et reste tel qu'on pourrait se croire revenu au temps des excès des croyances religieuses des temps anciens. Or nous savons depuis longtemps qu'il n'est pas prudent de mettre en doute les miracles attribués aux saintes personnalités et il règne autour de son nom et de ses apparitions un climat d'inébranlable conviction aussi intense qu'inquiétant.
        Si l'on se penche sur ce que le monde de la psychologie place en exergue, c'est évidemment l'importance donnée aux discours adressés aux tous petits enfants qui en constitue l'essentiel, et c'est cela que nous voulons aborder ici. Il s'agit pour nous de déterminer si la pratique du « discours interprétatif » tel qu'il a été présenté par notre auteur, et repris par ses disciples (1), peut s'appuyer sur une base scientifique.
        Rappelons d'abord l'hypothèse avancée, et agit dans la pratique : il est indispensable d'exposer à l'enfant de quelques semaines ou de quelques mois ce que l'on sait de son histoire (il serait d'ailleurs plus juste de dire ce que l'on croit savoir), des conditions de sa naissance, du comportement du couple parental, des équilibres familiaux et des événements traumatiques qui ont pu survenir. Deux présupposés liés entre eux : l'enfant est censé tout comprendre de ce qui lui est rapporté, et cette connaissance doit lui permettre de retrouver son équilibre vital compromis.

    Préalables

        Avant d'aller plus loin une première remarque s'impose. Dans tout ce que nous avons pu lire ou observer nous-même, les événements de vie recueillis, qui serviront à constituer la trame du discours, ne semblent jamais avoir fait l'objet d'une réflexion pour évaluer leur cohérence ou ce que pourrait recouvrir la réalité brute énoncée.
        L'impression donnée est celle d'une banale anamnèse dans le style traditionnel de l'interrogatoire médical simplet qui prétend établir très vite des éléments biographiques qui ne seront jamais remis en cause. Cet aspect de constat administratif est très surprenant lorsqu'on en prend conscience, l'expérience analytique nous ayant appris qu'il est parfois nécessaire d'attendre des mois de suivi, ou même des années, pour voir se restructurer des scènes qui prennent une couleur et un sens totalement différent de celui de la première version exposée.
        Les thuriféraires de notre auteur ont anticipé très tôt cette objection (avant sans doute même de la connaître) en évoquant l'extraordinaire don de divination qui lui permettait de reprendre dans ses interventions des faits qui n'avaient pas été clairement révélés. N'ayant pas de connaissances particulières dans le domaine de la magie nous laisserons ce point de côté pour l'instant.
        Deuxième remarque préalable dont nous mesurerons plus loin l'importance, les parents et l'entourage des nourrissons n'ont pas attendus les psychanalystes pour s'adresser à eux. Dans ce domaine le silence est l'exception, il suffit de vivre réellement auprès des familles pour entendre l'immense majorité des mères parler à leurs petits dès la naissance. Nous ne disposons pas de documents concernant l'âge des cavernes, mais il est vraisemblable qu'il en a toujours été ainsi depuis des millénaires, au moins dans notre monde occidental. Les assertions de certains auteurs de la deuxième moitié du XXème siècle, historiens, sociologues ou anthropologues, parmi lesquels Philippe Ariès (2), ont sans doute contribuées à occulter un phénomène, que nous qualifierions volontiers de physiologique, en avançant que l'intérêt pour les petits enfants n'est apparu qu'au cours du dix-huitième siècle. Disons à leur décharge qu'ils essayaient de se démarquer de la psychanalyse, vécue par beaucoup d'entre eux comme une « doctrine » à la fois marginale mais également concurrente, et donc à contester implicitement. Dans ce cas, il s'agissait sans doute d'une tentative pour déconsidérer - dans la logique des idéologies féministes ou soixante-huitardes - la « préoccupation maternelle primaire ».
        Sans doute eut-il fallu également éviter de se focaliser sur une minorité de familles bourgeoises ou aristocratiques, engluées dans des rigidités comportementales de classe, négligeant ainsi tout le reste de la population, dont on ne savait par ailleurs que peu de choses, faute de documents.

    Les connaissances communément admises
        Venons-en à l'essentiel : que perçoit l'enfant qui ne parle pas encore, « l'infans », du discours que lui adresse l'adulte ?
        Pour répondre à cette question il nous faut évoquer le processus qui amène progressivement cet objet immature, mais riche d'une quantité infinie de possibilités, à devenir peu à peu un sujet, encore dépendant certes, mais déjà individualisé. Nous avons la chance de pouvoir imaginer cela à travers une multitude de travaux, venant de tous les horizons, présentés au cours des dernières décennies. A partir d'eux nous sommes à même de proposer un schéma crédible.
        Essayons< de décrire le développement du psychisme aussi simplement que possible, en prenant comme exemple la théorisation de Bion décrivant au cours de ce processus la transformation d'éléments Béta, masse non organisée, en éléments Alpha constituant la première pensée structurée.
        L'hypothèse proposée peut se résumer ainsi. La somme des sensations et des perceptions qui se fixent dans la mémoire du sujet depuis son arrivée au monde (et au cours de son développement foetal. ce qui est souvent négligé) va peu à peu prendre forme.
        Ce qui est d'abord enregistré c'est un ensemble d'agrégats diversifiés qui se juxtaposent et entre lesquels vont peu à peu s'établir des liens.
        Prenons pour exemple le tout premier de ces agrégats, celui qui assure la vie à la naissance. Il se compose non seulement de ce qui tourne autour de la bouche, de la jouissance de la succion, des nuances variées du goût du lait, du plaisir éprouvé à ressentir le remplissage, mais de bien d'autre choses encore.
        Il y a la manière dont on est tenu, premier facteur d'apparition de la conscience de l'enveloppe corporelle, le parfum ou l'odeur de la peau de la nourrice, ce que perçoit la petite main qui explore la peau étrangère, les images mises au point peu à peu par les yeux qui s'entrouvrent. Il y a, « si tout se passe bien », le visage en gros plan de la mère et, bien sur, toutes les tonalités de la voix qui constitue une enveloppe sonore protectrice.
        L'agrégat « père » existe lui aussi, plus ou moins rapidement. Il y en a d'autres qui gravitent autour de ces deux-là mais nous laisserons au lecteur le soin de les retrouver pour aborder le point le plus important. Dès ce moment a débuté un travail essentiel. La musique affective de la voix véhicule des paroles. Les mots vont progressivement se relier aux choses avant de prendre dans un second temps leur indépendance.
        C'est donc bien par l'intermédiaire du langage que le processus de solidification du sujet va s'opérer. Un ensemble de traces d'expériences immédiates est venu recouvrir les énergies pulsionnelles primitives, la libido, ou pour le dire plus simplement les instincts vitaux. Le langage va organiser cet ensemble.
        Paradoxalement, son perfectionnement progressif opère à la fois une transformation unifiante et un clivage. La masse amorphe accumulée au fil des expériences journalières vécues se transforme, les mots recouvrent les choses. La conscience émerge repoussant dans les profondeurs certains ensembles hétérogènes où des traces sensorielles ou perceptives se mêlent à des éléments pulsionnels.
        Il semble donc juste de dire, non comme Lacan que l'inconscient est structuré comme un langage, mais que l'inconscient est structuré par le langage. Un paradoxe extraordinaire réside dans le fait que ce langage peut aussi bien l'exposer, le traduire, que le masquer, le laisser s'enfouir au plus profond de l'être et parfois favoriser la destruction physique du sujet par lui.
        Prenons un exemple simple, ce phénomène est perceptible dans toutes les productions philosophiques ou littéraires dès lors qu'elles n'ont pour finalité que la logique désincarnée ou la perfection de l'écriture. Lorsque l'intellectualisation atteint le comble de la sophistication, comme dans certaines élaborations philosophiques littéraires ou même psychanalytiques (que ces dernières soient « freudiennes » ou « lacaniennes ») l'extrême désir d'objectiver l'inconscient le fait disparaître. L'écriture n'est plus alors que l'alibi de l'impuissance et du déni drapés dans un narcissisme chatoyant. Dans les profondeurs le sujet se dissout silencieusement prépare le passage à l'acte final. (3)
     
    La réponse
        Revenons-en à ce qui a motivé notre réflexion. Au point où nous en sommes il paraît extrêmement douteux que l'enfant des premiers mois puisse construire l'ébauche d'un scénario historique, et encore moins l'entendre venant du dehors, trop occupé qu'il est à absorber tout ce qui lui est présenté de concret. Les allers et retours entre le choc des expériences immédiates et les premières représentations mémorisées ne peuvent concerner que le présent.
        En fait, tous les travaux de recherche connus, quelle que soit leur orientation, se conjuguent pour valider ce fait. Qu'il s'agisse de Spitz ou de Bion, de Winnicott ou de Balint, de Lebovici ou de Brazelton, des psychanalystes possédant une culture scientifique ou des tenants des neuro-sciences dures, tous se recoupent.
        L'hypothèse la plus vraisemblable avance que c'est à partir de trois ou quatre ans que l'enfant pourra entrer, et d'ailleurs très progressivement, dans un travail intérieur prenant en compte ce que nous appellerons l'historicité. Jusque là, pris dans le mouvement conjugué de découverte de lui-même et du monde extérieur, il avance au jour le jour.
        C'est au moment où s'amorce le premier ralentissement avant la période de latence, et sans doute favorisée par la problématique oedipienne, qu'une prise de distance peut se produire.
        Comment alors expliquer les réactions positives antérieures, indiscutablement obtenues et rapportées dans certains travaux ? Comment expliquer, en particulier, certains changements spectaculaires observés dans l'attitude des enfants lorsque le thérapeute s'est adressé à lui ? C'est à propos de ces réactions que la confusion est, à notre sens, apparue. Confusion entre les phénomènes en lien avec les possibilités réelles de l'appareil psychique à un moment donné et certaines convictions mysticoexplicatives.
        Si l'on nous a bien suivi, un enfant de deux ans baignés dans le langage a en effet déjà, à la fois une capacité de reconnaissance de l'Autre et, rangés dans sa mémoire, on a envie de dire dans sa chair les agrégats dont nous avons parié qui ne sont pas encore tout à fait distincts de lui. II commence à être lui mais reste pourtant dans l'identification directe. C'est lorsque survient une situation de perte, deuil ou abandon que ce phénomène prend une apparence spectaculaire et c'est à propos de cela que sont nées les dérives.
        Freud a décrit par exemple l'enfant qui se transforme en chat lorsque son petit animal très investi par lui disparaît. Les thérapeutes modernes décrivent des attitudes semblables prises par l'enfant lorsque les mots prononcés vont chercher au plus profond de lui tout ce qui a été engrangé de l'adulte investi.
        Que c'est-il passé ? Pour le dire avec les mots de Freud : l'identification a pris la place du choix d'objet, le choix d'objet a régressé jusqu'à l'identification. (4) Pour le dire avec nos mots : l'enfant est devenu l'autre disparu. Et Freud précise bien que cette identification est à la fois régressive et partielle, elle ne concerne souvent qu'un seul trait, dans le texte original « einziger zug ».
        On voit qu'il n'est évidemment pas question de la compréhension de l'histoire familiale ou même des événements qui se sont déroulés autour de l'enfant. La perte est vécue dans un amalgame archaïque et indissociable de chair et d'esprit. C'est beaucoup plus tard, si un travail d'analyse est entrepris que le langage reconstruira l'histoire, mais sous une autre forme.
        Le sens de la dérive
        La dérive interprétative commence donc avec les longs discours se voulant explicatifs, les exhortations (on a envie d'écrire les incantations) infligées à des enfants bien incapables d'en percevoir le sens.
        C'est bien évidemment le mot suggestion qui vient en premier à l'esprit. Après tout, nous ne sommes pas très loin historiquement de Messmer, de la Salpêtrière ou même des débuts de la psychanalyse. Mais le phénomène est plus compliqué que cela. Ce n'est même pas au Moyen-âge que nous sommes ramenés. Nous sommes renvoyés, dans un mouvement vertigineux, des millénaires en arrière, aux temps où le chamanisme était un facteur d'équilibre des sociétés primitives et une des conditions de leur survie.
    Voici le fait essentiel : fascinés par l'étrangeté de ces pratiques personne n’a remarqué qu'elles ne pouvaient se passer de public. Il fallait absolument que les mères, les soignantes (les « maternantes » ainsi que les nomme Caroline Eliacheff) soient présentes. Il n'était pas imaginable d'opérer en tête à tête avec un proche comme seul tiers. Il était indispensable que ce qui nous apparaît de plus en plus clairement comme un rituel se déroule au milieu d'un cercle subjugué, d'une assemblée à la fois spectatrice et participante.
        La transe suppose d'être partagé, sinon il quoi servirait elle ?
        Avec le recul de la réflexion on est fasciné par la profonde ressemblance de ces séances avec les rituels décrits par les anthropologues, tels, par exemple, ceux rapportés dans un texte célèbre de Claude Levi Strauss (5)
        On comprend mieux en les relisant comment cet tains effets positifs pouvaient, et peuvent encore certainement, être obtenus à travers la mobilisation de profonds mouvements émotionnels chez ceux ou celles qui entourent les enfants. C'est donc à leur inconscient, mais également à leur mémoire préconsciente que le discours de Dolto s'adressait sans que l'opératrice en ait conscience elle même, perdue dans son énorme fonction apostolique. Ils recevaient une vérité désincarnée vécue comme un article de foi. Par le biais de la suggestion ils bénéficiaient d'un effet de rassurance qui devait les aider à vivre le quotidien. Mais il y a évidemment un abîme entre cette cérémonie et le vrai dialogue avec le nourrisson, pratiqué tous les jours empiriquement par celui ou celle dont il saura intuitivement si il (elle) lui veut du bien

    Conclusion
        Nous avons maintenant pris Conscience qu'il est possible d'obtenir les mêmes résultats, mais également de bien meilleurs, en sachant ce que l'on fait, c'est à dire en disposant d'une formation analytique plus pertinente qui n'ignore pas la réalité scientifique.
    Peut-être est-il temps pour nous de prendre plus de soin à attirer l'attention de nos étudiants en médecine, et surtout celle de nos futurs psychologues toujours, fragilisés par leur éloignement des réalités corporelles, sur le risque permanent de résurgence de la pensée magique dans les relations humaines.
        En attendant, ne nous retenons surtout pas de parler à nos nourrissons, de les envelopper de cette bulle sonore protectrice, de leur offrir chaque jour ce cocktail étrange, cette potion magique où se mélangent l'amour et les mots, cet apport quotidien qui leur permet de croître et de commencer à exister.
        Mais ne nous imaginons surtout pas qu'en leur racontant par exemple par le menu les péripéties de la vie de leur grand-père en Kabylie ils vont comprendre. Ils garderont certes la trace de ces mots en eux, à nous de les aider à élaborer un peu plus tard tout ce qui constitue leur passé et va leur permettre d'intégrer leur filiation.

        (1) Voir en particulier : « A corps et à cris » de Caroline Eliacheff (Odile Jacob 2000)
        (2) « L'enfant et la vie familiale sous l'ancien régime » Seuil (Points-histoire) 1975
        (3) Les célébrations du centenaire de la naissance de la philosophe Simone Weil sont une occasion de rappeler qu'elle a été un exemple parfait de cette pathologie.
        (4) « Psychologie des foules et analyse du moi » (chapitre sur l'identification) 1921
        (5) « L'anthropologie structurale » Plon 1958 (voir en particulier le chapitre X : « l'efficacité symbolique »)

  • 30 Oct 2018 10:44 AM | Benoît Raynal (Administrator)

    Louis Velluet

    « LES TROIS ESPACES »

    ou

    « La théorie de la relation thérapeutique en Médecine de Famille »


    La relation thérapeutique en Médecine Générale/Médecine de Famille est conditionnée par deux phénomènes « physiologiques » découverts et explorés par la Psychanalyse : le transfert et la régression.

    Le déclenchement de ces phénomènes et le rôle qu’ils jouent dans la conduite thérapeutique et dans son efficacité (ou ses échecs) dépendent étroitement des caractères originaux de cette discipline.

    Rappelons-les brièvement : proximité (donc accessibilité) continuité, relation personnelle, et cela sans distinction d’âge de sexe ou de pathologies. Telle sont les éléments essentiels de la définition européenne officielle (Résolution 77/30 du 28/09/77). On notera que cette définition, élaborée par le groupe de recherche des généralistes-européens dit « de Leeuwenhorst » a précédé de plusieurs années celles qui sont souvent citées actuellement, elle reste pourtant à ce jour la seule officielle, et surtout la plus claire et la plus pertinente.

    Le transfert

    Il consiste dans la projection par le sujet, sur un interlocuteur privilégié, de l’image des personnages clefs de son enfance toujours présente dans son inconscient et toujours douée de pouvoir.

    La régression

    C’est le mouvement physiologique de retour en arrière qui met en jeu nos mécanismes de défense archaïques lorsque nous sommes soumis à des agressions : rassemblement de l’énergie vitale, repli sur soi, exigence d’un environnement protecteur (le sommeil est la forme la plus simple et la plus naturelle de ce phénomène).

    Ce retour en arrière peut favoriser, dans la mesure de son importance, le passage par des états correspondants aux différents stades évolutifs décrits par la psychanalyse. Selon la profondeur de la régression :

    - mouvements affectifs impulsifs de type oedipien

    - préoccupations anales, pulsions sado-masochiques

    - retour à l’oralité, focalisation sur les aliments, boulimie.

    La régression favorise l’apparition du transfert.

    Avant de montrer comment ces deux éléments opèrent dans les différents espaces de la relation il est important de préciser les ressemblances et les différences entre le transfert tel qu’il est défini par la psychanalyse et le transfert tel qu’il se présente en médecine générale.

    Les points communs

    Les points communs avec le transfert tel que le définit la théorie psychanalytique et tel qu’il opère dans toute pratique inspirée par elle sont les suivants :

    1/ Projection sur le thérapeute des diverses images parentales ayant marqué le sujet (les « imagos »).

    2/ Réactualisation dans la relation avec le thérapeute des conditionnements anciens (émotionnels, comportementaux) institués par l’environnement parental archaïque.

    3/ Attribution à celui-ci d’un supposé-savoir concernant la vie psychique du sujet.

    Les différences

    1/ Les particularités d’âge, de sexe et de comportements du médecin orientent les projections du patient. Le transfert s’appuie sur des éléments de réalité : sur la personne autant que sur le personnage.

    2/ Le fait que le praticien ait accès au corps du patient modifie fondamentalement le phénomène de la régression qui peut réactualiser des conditionnements très archaïques dans un climat aussi bien sécurisant (le simple toucher peut être par lui-même thérapeutique en dehors de sa finalité médicale) que parfois angoissant (il y a des médecins anxiogènes).

    Le supposé-savoir concerne non seulement la vie psychique mais également les phénomènes corporels.

    3/ Lorsque le transfert est positif le médecin généraliste joue le rôle d’un système pare-excitation , rôleque joue le personnage parental protecteur des premiers mois de la vie. Selon la théorisation de Freud (in « Au-delà du principe de plaisir ») l’entourage maternel (parental) protège de la faim, du froid, et en général de toutes les stimulations extérieures qui pourraient être perturbantes, tandis que l’enfant se différencie peu à peu et prend conscience de son existence propre.

    Quelle que soit la pathologie qui survient, un mouvement régressif, plus ou moins accentué mais inévitable, favorise chez le patient ce transfert archaïque sur le médecin généraliste qui joue alors le rôle d’un système pare-excitation auxiliaire.

    De ce fait (ceci est fondamental mais trop souvent méconnu) il renforce la capacité des différents systèmes d’adaptation (neuro-humoraux, immunitaires, etc, etc ) en favorisant, par sa seule présence, « la métabolisation » des désordres pathogènes engendrés par les stress.

    « Ce qui compte » dit Winnicott « c’est qu’il existe et que l’on puisse penser à lui comme une présence, un recours possible »

    La théorie des trois espaces découle logiquement de ces notions scientifiques de base. Elle a pour but d’aider le médecin de famille à adapter ses interventions à l’extrême variabilité des circonstances auxquelles il est confronté.

    L’espace primaire

    Ce premier espace est celui où la violence des agressions peut entraîner la régression la plus profonde, que les traumatismes subis soient physiques ou psychiques.

    Il est d’ailleurs artificiel de séparer les deux origines car il ne peut se produire de troubles physiques sans retentissement psychique et l’inverse est tout aussi vrai, bien que trop souvent négligé.

    La régression se manifeste sous deux aspects :

    a/ Le sujet retire momentanément tous ses investissements extérieurs pour se centrer sur lui-même. Autrement dit, il récupère toute son énergie libidinale pour résister à l’agression.

    b/ Il transfère massivement sur un personnage ou un environnement censé lui assurer la protection nécessaire.

    c/ Les possibilités d’élaboration mentale sont réduites. L’heure n’est pas aux raisonnements ou aux conseils, c’est la directivité du médecin qui est rassurante.

    Dans le cas d’affections aigues ou de traumatismes graves c’est sur le cadre matériel et le personnel médical de l’hôpital dans son ensemble que s’effectuera le transfert. Il pourra de ce fait être ambigu, à la fois magique, indifférencié et angoissant.

    Dans le cadre de la médecine de famille la régression profonde est liée non seulement aux atteintes physiques de tous ordres, mais à tous les Evènements de Vie Stressants (E.V.S.) deuils, séparations, pertes d’emploi et en général toute circonstance dans laquelle l’investissement affectif et/ou matériel du sujet se trouve menacé ou donne l’impression d’avoir été perdu. Le transfert en sera d’autant plus intensément personnalisé, il en aura d’autant plus tendance à prendre les caractères de la recherche du climat parental de protection archaïque.

    Important

    Dans l’idéal, le trajet dans l’espace primaire ne devrait durer que le temps de la réparation.

    En réalité certains sujets ont le plus grand mal à en sortir, c’est en particulier le cas des dépressions chroniques et des douleurs chroniques, ces deux catégories ayant habituellement en commun de prendre leur source dans de graves carences environnementales précoces. Le rôle de la psychothérapie spécifique du médecin généraliste est ici fondamental.

    Il faut également signaler le rôle des conditionnements culturels. Certains groupes, les «gens du voyage » par exemple, fonctionnent comme des systèmes primitifs (matriarcaux) et manifestent un besoin excessif de rassurance auprès du « chaman ». La précarité favorise les mêmes comportements, à la fois dépendants et revendicateurs.

    Les uns comme les autres risquent en permanence d’exalter le sentiment de Toute-puissance trop répandu dan la profession médicale.

    La progression vers le deuxième espace ne dépend pas que de l’état du patient, elle dépend également des convictions inconscientes non analysées du praticien.


    Le deuxième espace
    Ou
    Espace transitionnel

    C’est celui où se déroulent la plupart des relations en médecine de famille, celui où s’accomplit l’essentiel du travail spécifique du médecin généraliste. Le praticien continue à jouer son rôle de « contenant », de système pare-excitation auxiliaire : appoint continu au système d’adaptation du sujet pour le maintien de son homéostasie, adjuvant de ses défenses. Mais  cet espace est aussi celui qui doit (dans l’idéal) mener le sujet sur la voie de l’autonomisation.

    Pour cela le praticien est amené à :

    a/ utiliser parfois les examens complémentaires et les prescriptions médicamenteuses comme ce que Winnicott appelle des objets transitionnels. Les premiers comme des objets de rassurance (on sait que le résultat sera normal, mais on l’avait annoncé préalablement) les seconds pour mettre en évidence les effets placebo (de suggestion) et en faire prendre conscience progressivement au patient.

    L’objectif est de démystifier peu à peu le personnage médical, son « supposé-savoir » et son « supposé-pouvoir », d’apprendre au patient, et avec lui, à faire le tri entre le contingent et l’essentiel. Il s’agit, autant que faire se peut, d’accéder à la réalité objective en dégonflant quelques mythes encore récurrents en médecine comme celui de l’irréversibilité de certaines affections (asthme, hypertension essentielle, etc, etc).

    b/ à mettre à profit ce temps « d’investissement mutuel », selon le concept de Michael Balint, pour éclairer peu à peu les origines du sujet, reconstituer au hasard des multiples rencontres et des échanges, les circonstances de son histoire personnelle et de sa filiation.

    c/ à permettre au sujet de se réapproprier son histoire, de prendre conscience progressivement de ce que l’on a compris de ses conditionnements défectueux et que l’on essaye de lui restituer.

    Important

    Ce travail, qui doit être continu et progressif, exclut formellement tout endoctrinement « éducatif ». Il suppose une évolution du praticien lui-même découvrant les faits et tentant de les retranscrire pour son patient en fonction des capacités d’élaboration de celui-ci à un moment donné. C’est ainsi que l’on progresse vers le troisième espace où l’on devrait pouvoir amener tous les patients, sachant toutefois que c’est là un idéal que l’on ne peut pas toujours atteindre.


    L’espace psychosomatique
    ou
    espace d’autonomisation

    Ce troisième espace ne peut être atteint que si le praticien a lui-même évolué, si son accompagnement des patients lui a permis de repérer ses convictions inconscientes, ses attitudes stéréotypées et ses comportements répétitifs. Cela peut se faire empiriquement au fil des années, cela va indiscutablement plus vite si l’on s’astreint à un travail en groupe balint, voire à un petit trajet personnel d’analyse (dixit Freud).

    Pourquoi psychosomatique ?

    Parce que médecin et patient repèrent beaucoup plus facilement les liens obligatoires et les interactions inévitables entre les phénomènes somatiques et la vie psychique. Ils sont plus capable de donner la priorité aux uns ou à l’autre selon l’urgence, sans négliger pour autant l’aspect qui est momentanément au second plan.

    Pour prendre un exemple simple et fréquent de la pratique quotidienne : si le traitement d’un(e) patient(e) migraineux(se) comporte nécessairement des médicaments, la guérison (qui est toujours possible) ne pourra passer que par la prise de conscience des mouvements ambivalents et inconscients d’agressivité-culpabilité liés aux problèmes d’identité sexuelle sous-jacents. La prédisposition génétique ne sera dominante que si l’on ignore les mécanismes régulateurs de la vie psychique.

    Pourquoi autonomisation ?

    Parce que les « supposés-savoirs » sont largement démystifiés, les véritables savoirs reconnus.

    La relation comporte des temps d’échanges équilibrés. A ce stade peut s’établir une véritable confiance entre deux sujets adultes.

    Le patient peut avoir recours à d’autres professionnels de la santé sans que la relation en souffre, car les traits de réalité qui aidaient à l’apparition du transfert initial ont été identifiés. Il sait ce qu’il peut attendre ou non du praticien et cela peut être discuté sans gêne.

    C’est également dans cet espace que le choix d’un psychothérapeute peut se faire d’une façon plus pertinente, dans la mesure où le praticien est à la fois plus assuré de la connaissance de son patient et plus sûr de ses propres capacités à distinguer le thérapeute, réellement analysé, susceptible d’aider ce dernier.

    Important

    Le sentiment indispensable de sa responsabilité personnelle ne doit pas pour autant en être diminué pour le praticien. Il reste en charge de son patient.

    Sa fonction pare-excitation auxiliaire continue à s’exercer, même si elle est moins apparente.

    Si le but recherché est la progression du sujet sur la voie de l’autonomie, des incidents de vie de toutes espèces sont susceptibles à tous moments d’entraîner des retours en arrière qui pourront, si tout va bien, être suivis de nouveaux départs dans le bon sens.

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