Récits de vie sur la souffrance au travail
La souffrance au travail
Burn out
Analyse et commentaires de Marine de Chefdebien (UFR Paris-Ouest-UVSQ) et Aurélie Janczewski (UFR Aix-Marseille)
D'après une communication d'Annie Catu-Pinault (Paris)
exercer 2016;127(suppl2):S44-5.
Contexte
Dans un rapport de février 2007 sur la santé et la sécurité au travail, la Commission européenne souligne que la souffrance au travail est un problème prioritaire, et alerte sur l’ampleur grandissante du mal-être. « Les problèmes liés à une mauvaise santé mentale constituent la quatrième cause la plus fréquente d’incapacité au travail. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que, d’ici 2020, la dépression deviendra la principale cause d’incapacité de travail. »1. Le stress est le premier révélateur de la souffrance au travail. Ses signes cliniques sont nombreux : sentiment de surcharge, fatigue chronique, angoisse et insomnie, idées noires, culpabilité, difficultés de concentration, palpitations, émotivité exacerbée, consommation accrue de tabac et d’alcool, mal de dos, ulcère, troubles cardiovasculaires... Le stress peut se compliquer de dépression et mener au suicide. 30 % des salariés de l’Union européenne connaîtraient un niveau de stress trop élevé ; 28 % des cadres présenteraient un niveau de stress aigu2. La souffrance au travail correspond à un mal-être plus général, qui comprend également le surmenage, la fatigue, le harcèlement, les troubles somatiques, et les « risques psychosociaux »3.
Objectif
Illustrer différents aspects de la souffrance au travail à partir de cas cliniques vécus afin de faire émerger une théorie sur la chronologie de cette souffrance.
Méthode
Étude qualitative avec focus groups et groupe de type Balint. La population étudiée était un groupe de recherche et de formation préexistant, composé de douze médecins généralistes de toute la France et encadrés par deux animateurs médecins généralistes dont un psychanalyste. Il s’agissait d’un séminaire de 48 heures pendant lequel 9 cas cliniques vécus et écrits ont été discutés par associations libres et recherche de sens et de solutions. Tout le séminaire a été enregistré, puis les verbatims ont été retranscrits afin de permettre une analyse de type théorisation ancrée. Chaque histoire illustrait des aspects différents de la souffrance au travail. Les idées les plus marquantes ont ensuite été mises en valeur par les auteurs.
Résultats
Plusieurs étapes ont été abordées pour appréhender au mieux les différents aspects de la souffrance au travail ainsi que sa prise en charge.
La description de la situation du patient, pour mieux comprendre pourquoi le patient a perdu la notion d’accomplissement dans son travail. Exemple pris d’une employée dans un restaurant, privée de l’accès à la caisse. « Elle a beaucoup plus de manutention, notamment du travail de plonge, soulever les caisses. Avant, l’encaissement était un moment privilégié pour elle où son entrain, sa familiarité étaient bien appréciés de ses clients. »
La prescription d’arrêts de travail, vécue difficilement par les médecins, en raison de la place ambiguë du travail dans le monde actuel. « Qu’est-ce que je fais, des arrêts de travail ou des arrêts maladie ? Est-ce que c’est un acte médical ou administratif ? ». L’effet thérapeutique de l’arrêt de travail a cependant été reconnu par la grande majorité des participants.
Le recours essentiel aux professionnels psychosociaux, qui possèdent d’autres domaines de compétence, pour une coopération interprofessionnelle dans laquelle le médecin généraliste reste le premier recours.
Souffrance a u travail
« Je l’avais adressée parce que je pense toujours à des personnes plus compétentes que moi pour dénouer les choses personnelles intimes, pourtant c’est à moi qu’elle avait confié ce secret, c’était avec moi qu’elle continuait à être en lien. »
La reconstruction et le changement des patients au cours de leur prise en charge, estimés comme parfois discrets et imperceptibles, qu’il faut apprendre à repérer en consultation. « Les patients ont des ressources insoupçonnées. »
Résultat principal
La souffrance au travail est la rencontre d’une situation de travail pathogène et d’une structure psychologique particulière.
Commentaires
La grande force de cette étude concernait le groupe interrogé, par rapport à la confiance établie car préexistante à l’étude et avec une approche pragmatique des médecins généralistes, avec une référence psychanalytique et sociologique. Les principales limites étaient l’absence de saturation des données et la non-naïveté du groupe sur le thème de la souffrance au travail. La plupart des participants avaient suivi des formations dans ce domaine préalablement à l’étude. La méthode choisie, la théorisation ancrée, est fondée sur la classification des verbatims. Les auteurs expliquent que l’identification de liens entre les différents verbatims permet d’établir une chronologie de la souffrance au travail. Ainsi certains traits de personnalité du patient peuvent émerger du fait de la souffrance au travail,
même si cette personnalité préexiste à la souffrance. Les deux préalables sont donc l’organisation du travail et le lien avec l’enfance.
Il s’agit donc à la fois d’une démarche diagnostique et thérapeutique : il faut rechercher les faits (surcharge de travail, harcèlement, modification des conditions de travail) et analyser le vécu du patient (personnalité, mécanismes de défense, contexte de vie, histoire familiale, etc.). La souffrance au travail naît donc de la rencontre entre ces deux éléments qui dysfonctionnent, créant ainsi le stress et ses conséquences. En tant que professionnels de santé, les leviers à notre disposition pour lutter contre cette souffrance sont l’arrêt de travail, les médicaments, les psychothérapies de soutien, et le temps, afin d’aboutir à un changement pour le patient. L’association « Souffrance et travail » fondée en janvier 2011 par un groupe de spécialistes sur la santé au travail, met à disposition sur un site Internet en accès libre des informations utiles à tous les acteurs du monde du travail, des salariés aux employeurs, des médecins du travail aux médecins généralistes, des inspecteurs du travail aux magistrats4.
Références
1. Commission européenne. Santé et sécurité au travail : les actions européennes et internationales. Rapport du 21 février 2007. Disponible sur : http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/Chap_02. pdf [consulté le 20 août 2016].
2. Combalbert N, Riquelme-Sénégou C. Le Mal-Être au travail. Paris : Presses de la Renaissance, 2006.
3. Dortier JF. Le blues du dimanche soir. Sciences humaines 2008; 12.
4. Souffrance & travail. Disponible sur : http://www.souffrance-ettravail.com [consulté le 13 septembre 2016].
Volume 27 N° 127 (suppl 2) exercer la revue francophone de médecine générale 45