Louis Velluet
Au lieu de se laisser enfermer dans la problématique de la faute triviale et de la culpabilité qui s'y attache, dérive fréquente lorsqu'on aborde le sujet des erreurs médicales, les intervenants de ce séminaire ont choisi de prendre un peu de hauteur.
Bien que subsiste parfois un doute, le personnage mystérieux que l'on nomme « le médecin » est un être humain comme les autres, sujet à commettre des erreurs liées à ses conditionnements archaïques. Il est trop souvent passé sous silence que derrière toute vocation médicale peuvent se dissimuler des motions inconscientes hétérogènes. Ces mouvements lorsqu'ils sont méconnus constituent le terreau sur lequel prospèrent les aveuglements et les pertes d'objectivité sources d'erreurs
Nous savons tous, parfois sans oser l'exprimer, que derrière le masque de l'extrême rigueur et de la surestimation du Savoir se cache souvent le désir ancien et impérieux de la Toute-Puissance. Sur le plan personnel autant surestimer ses capacités que vouloir tout dominer interpose un écran entre nous et la réalité. Dans le domaine de la science quand le Savoir devient Doctrine il occulte les phénomènes imprévus de la vie.
De même derrière l'extrême implication compassionnelle il n'est pas rare de déceler le souvenir enfoui de morts considérés comme injustes, la transmission en héritage de deuils jamais réalisés.
C'est ainsi que les legs traumatiques occultés, les séquelles des catastrophes familiales, entretiennent l'exigence des réparations permanentes et l'obligation de ne jamais mal faire. La culpabilité est aux aguets, cachée derrière la banalité du quotidien. Elle favorise l'erreur en perturbant l'objectivité du regard.
Ces tableaux caractéristiques, si affirmés, sont des images extrêmes mais ils sont en fait la représentation de ce qui peut cohabiter et alterner dans nos profondeurs. Nous nous sommes en effet construits, pour la plupart d'entre nous, dans cette ambivalence. Les erreurs que nous commettons peuvent aussi bien tenir à la croyance abusive dans un savoir intouchable qu'à un vécu émotionnel qui nous aveugle.
Cette première approche qui pourrait sembler à certains lecteurs trop abstraite, trop théorisante, éloignée de la réalité quotidienne, est pourtant essentielle pour aborder le sujet épineux des erreurs médicales. C'est en effet le déchiffrage des interactions permanentes entre la construction d'un savoir bien identifié et crédible et le jeu des mouvements incessants et imprévisibles de notre vie émotionnelle et pulsionnelle qui peut nous permettre d'être au plus près de la vérité.
Dans le cadre de la Médecine de Famille, à l'inverse des certitudes magistrales, la réalité scientifique doit se construire progressivement et se reconstruire chaque jour en fonction de l'inconnu imprévu. Une vérité s'élabore certes mais elle ne doit, jamais faire abstraction des acquis formalisés.
Le schéma d'une médecine idéale devrait donc résider dans l'absolu nécessité de la coexistence entre les deux modes de pensée aussi bien au sein de la science médicale classique que dans nos mondes psychiques foisonnants. Dans un équilibre parfait la reconnaissance et le lien devraient s'établir entre la médecine savante qui propose des constructions intellectuelles sécurisantes et la médecine- de la vraie vie qui renvoie à l'imprévu, à l'ignoré, à l'inconnu.
Une digression s'impose ici. Pour que les progrès scientifiques tels que la réunification de notre univers médical et la prise de conscience de l'unicité psychosomatique du sujet humain puissent produire des effets il importe que l'organisation sociale s'y prête. Or notre monde tend à être régit par un mélange d'intellectualisme prétentieux et de technicité sans lien avec le réel. L'univers médical n'échappe pas à cette pathologie. Les interventions ont pointé la fréquence avec laquelle le lien avec l'autre s'est perdu, aussi bien dans nos grandes institutions qu'à l'extérieur, et combien l'impossibilité d'accéder à un langage partagé joue un rôle fondamentalement nocif.
Il est finalement apparu au fil de l'analyse des observations présentées dans le séminaire que notre comportement est certes souvent conditionné par l'exigence de la perfection, ou le respect excessif des règles parfois obsolètes.
II semble pourtant que ce que nous appelons les erreurs médicales soit plus souvent lié aux effets sous-estimés des idéologies dominatrices et de nos croyances inconscientes qu'à l'ignorance ou au défaut de sensibilité.