Anne-Marie Reynolds
Ce sont deux dimensions de la Médecine Générale souvent évoquées, au point d’être quelque peu banalisées, parfois confondues. En fait, si l'expérience peut contribuer à développer la compétence, elle ne suffit pas à l'assurer. Elle ne peut y contribuer qu’en s'articulant aux acquis scientifiques préalables, et, pour ce qui concerne la Médecine Générale, pas seulement à ceux qui ont trait aux Sciences Médicales, mais également à ceux qui relèvent de Sciences Humaines.
Le dictionnaire définit la compétence comme une « connaissance approfondie, reconnue, qui donne le droit de juger ou de décider en certaine matières »(Littré).
La difficulté, pour nous médecins généralistes, est de traduire notre savoir spécifique en termes scientifiques sans pasticher le langage de nos confrères spécialistes, et cependant nous sommes seuls à pouvoir le faire. La simple description de notre pratique n'y suffit pas. Elle est indispensable pour y contribuer, mais elle ne suffit pas. La compétence peut se revendiquer mais elle ne s'impose pas en se décrétant, elle doit être explicitée.
Pour le médecin spécialiste les choses sont plus claires d'emblée. Dans cadre de sa spécialité, il est détenteur d'un savoir reconnu et son intervention désigne la limite de celui du généraliste.
Par contre le nôtre n'est pas toujours évident puisqu'il consiste à adapter et à relativiser les différents savoirs pour les appliquer à chaque cas particulier, tant il est vrai qu'«il faut garder présent à l'esprit que l'être humain ne peut être saisi que sous l'aspect d'une totalité bio-psycho-sociologique dont chaque élément est dépendant des autres et retentit sur eux » (Philippe Carrer : « Le matriarcat psychologique des Bretons » (Payot) pages 32).
Ce qui complique encore les choses pour nous Généralistes, en quelque sorte donc, spécialistes de « l'être humain dans sa totalité », c'est la nécessité où nous nous trouvons d'appréhender à la fois la pathologie, les problèmes qui la sous-tendent ou l'accompagnent et ceux qui peuvent apparaître au cours du suivi.
Leurs possibles interactions et évolutions parfois inattendues, ne dépendent pas seulement de la « totalité » de l'être humain qui est notre patient, mais aussi de celui que nous sommes nous-mêmes, ce qui peut compliquer les choses, mais aussi les clarifier et à accroître nos moyens d'actions.
Notre fonction consiste en effet à analyser (« médical » compris) une situation globale, toujours particulière dès lors qu'elle est envisagée dans sa totalité, à en évaluer les priorités, pas toujours évidentes d'emblée, à en discerner les causes réelles, à estimer leurs développements possibles et enfin à intervenir en conséquence.
Devant deux ou plusieurs cas de la même maladie évoluant et vécus de manières totalement différentes, la question a été posée : « s'agit-il de la même maladie ? » (extrait d'interventions faites au cours de Séminaires). Poser ainsi la question est déjà commencer à raisonner en médecin généralistes et se donner la possibilité de recevoir une réponse. En effet, « chacun de nous écrit l'histoire exemplaire qui lui vient à l'esprit, une histoire vraie, particulière, qui parle pour lui parce qu'il l'a d'abord laissé parler ». (extrait d'interventions faites au cours de Séminaires).
Ainsi devrions-nous parfois penser, comme Voltaire, de ceux qui se donnent le droit de décider pour nous, à notre place : « du moins devraient-ils se taire sur des choses qui ne sont pas de leur compétence ! »