Anne-Marie Reynolds
« On semble demander à la psychologie, non pas des progrès dans le savoir, mais des satisfactions de quelque autre sorte ; on lui fait reproche de chaque problème non résolu, de chaque incertitude avouée.
Quiconque aime la science de la vie d'âme devra ainsi prendre son parti de ces affronts».S. Freud, « Nouvelle suite des leçons d'introduction à la psychanalyse », page 86 oeuvres complète. T XIX (PUF)
Pourtant Freud persiste et signe et la « science de la vie d'âme » fait son chemin, même si elle suscite toujours - c'est compréhensible - des mouvements contradictoires. Mais il faut savoir que « la vraie solution consiste à reconnaître que l'articulation entre la vie secrète des gens et leur pathologie est un fait relatif à la structure humaine - à savoir que les hommes parlent et disent « je » - et qu’un fait de subjectivité ne peut pas être traitée avec l'appareil qui permet de traiter une réalité objective ».P. Benoît, « Chroniques Médicales d'un psychanalyste», page 149 Rivages 1988.
Le placebo est un objet double, double mais indivisible. Réalité objective pour une part, qui n'a d'autre fonction que de véhiculer l'autre, subjective celle-là, identifiable seulement par le repérage de ses effets. Nous pourrions la désigner comme objet freudien. Ce que Balint a appelé le « remède médecin » ou « la prescription du médecin par lui-même » n'est pas autre chose.
Cet effet est au cœur même de la médecine générale. Il constitue un point essentiel de sa spécificité. La personne du médecin est en même temps le support du savoir et de la compétence que lui attribue le patient et l'inducteur de leur mise en condition thérapeutique.
Il est temps de cesser d'amalgamer abusivement sciences médicales et médecine. La mise en pratique des sciences médicales par les généralistes comporte une scientificité et un pouvoir qui lui sont propres. La plupart le savent ou le ressentent, même si leurs particularités ne sont pas encore suffisamment élucidées, élucidation d'autant plus difficile à réaliser qu’elle est encore trop souvent, et a priori, niée ou revendiquée par ce qui « savent » , de quelque bord qu'ils soient.
Il ne s'agit pas, pour les généralistes, d'intégrer les théories ou les techniques psychanalytiques mais de savoir que les seules sciences médicales ne résoudront pas tous les problèmes de santé qui leurs seront posés. Pour cette raison l'enseignement de la médecine générale ne pourra pas plus longtemps, quelles que soient les résistances qu'elle rencontre, du fait de sa nature même faire l'impasse d'une approche psychanalytique théorique pour sa culture ni d'un travail de sensibilisation à cette dimension pour sa mise en pratique.
Analystes et Généralistes ont en commun de devoir centrer leurs approches réciproques sur l'histoire de la personne mais ces approches diffèrent fondamentalement. Pour les premiers, il s'agit de l'histoire parlée (fantasmée) dans une atmosphère de neutralité aussi stricte que possible, à l'écart de tout contact direct avec la réalité pour favoriser l'émergence de son contenu émotionnel.
Pour le second, à l'opposé, il s'agit de l'histoire observée en direct par le médecin qui la découvrira petit à petit, avec le temps, par la proximité du patient et, le plus souvent, celle de son entourage, dans leur milieu de vie. Il y a donc, antagonisme entre les objectifs et les pratiques des deux fonctions : « la pratique de la cure s'avèrera très vite être une pratique dont le processus s’engage précisément de la non-réponse par le praticien à la demande initiale du patient d'un objet thérapeutique » Op. cit. Page 125
On ne doit pourtant pas penser comme incontournable le dilemme entre, la nécessité d'un clivage absolu entre les deux dimensions et, la confusion inévitable de l'humain et du médical. Le clivage est nécessaire au choix des moyens d'action lorsque les circonstances l'imposent, mais il n'exclut pas la sensibilisation du médecin à l’humain lorsqu'elle est possible, ce qui a pour effet d'élargir le choix de ses moyens thérapeutiques.
Si les pratiques, même parallèles, de la médecine et de la psychanalyse, par un même praticien deviennent, avec le temps, difficilement soutenables, l'expérience des deux montre que l'une peut contribuer à éclairer l'autre et que le médecin généraliste peut bénéficier d'une culture d'inspiration analytique sans pour autant nécessiter son engagement personnel dans une cure.
La prise en compte des deux pratiques a permis de développer une direction scientifique nouvelle, avec ses concepts de base et ses théories évolutives, dont l'existence n’est plus sérieusement contestable. Cette science répond aux besoins du médecin généraliste et il serait aberrant de l'en priver. La prise en compte simultanée de l'humain et du médical est de la nature même de son rôle (ainsi que la bien explicité la définition du groupe de Leeuwenhorst), comme de celui du placebo. A ceci près qu'ici le support de l'objet freudien n'est pas seulement un leurre.
La difficulté est d’en reconnaître la fonction invisible puisque le médecin généraliste n'a, jusqu'à une période très récente, entendu parler de sa pratique qu'à travers l'idée que s'en font des enseignants étrangers à une scientificité qui ne semble pas les concerner.
Comme l’a souligné Jean-François Renaud dans un texte récent (J. F. Renaud : «Laetitia au risque de ses ascendances », texte présenté au Séminaire National de Pédagogie de l'Atelier « le sujet à risque » (1 et 2 mars 1996)) : « la place que j'occupais me paraissait parfois plus importante que les mots que je disais, et ma façon d'être spectateur en « disait » sans doute plus long que les mots que je prononçais. C'est plus en évoluant dans l'espace de ma consultation qu'en parlant que j'ai l'impression d'avoir aidé à laisser se mettre ou remettre en place les morceaux d'un puzzle familial ».
Si « l'effet placebo » du médecin à l’œuvre ici est d'une valeur exemplaire, tout aussi importante est sa compétence à l'évaluer. Une telle compétence est en effet l'aboutissement d'un long travail qui suscite légitimement une grande satisfaction.