Anne-Marie Reynolds
En ce printemps où tout se met à aller très vite il semblerait qu’enfin tout le monde découvre l’importance de la relation dans la pratique de la médecine générale.
Pour certains, qui parlent en spécialistes, il s’agirait de « rassurer, réconforter…écouter ». Ainsi : « c’est au médecin de ville d’aider et de gérer l’anxiété du malade ».
« Le généraliste est, par définition, l’homme de la synthèse. Aussi doit-il accorder, beaucoup d’importance à l’écoute de son patient pour bien comprendre ses besoins ». (Interview d’Edgard Morin, socioloque, dans « Panorama du Médecin » N° 3711/09 Février 1993)
La nécessité de former les médecins à cette compétence est reconnue. Le moyen d’y parvenir suggéré : il faut créer des « Universités d’Anthropologie » à l’intention des « médecins de ville ».
Parce que :
« A l’heure actuelle, les relations humaines ne sont plus possibles dans les hôpitaux, car il y a de plus en plus de malades et de moins en moins, de temps pour s’occuper d’eux /…/ seul le généraliste peut encore assumer ce rôle social ». (Interview d’Edgard Morin, socioloque, dans « Panorama du Médecin » N° 3711/09 Février 1993)
Il s’agirait donc d’une question de temps et d’enseignement universitaire. Ces éléments ne sont certes pas négligeables, qui pourrait penser autrement ?
Pour nous, ils ne sauraient cependant suffire, même associés à un bon bagage dans connaissances scientifiques et techniques médicales, et cet abord réducteur nous semble occulter la réalité même de ce que peut être notre pratique.
Il était une fois un analysant qui évoquait répétitivement et douloureusement sa tunique de Nessus.
C’est bien de cela qu’il s’agit en effet.
Qui peut dire, au moment où son médecin raconte son histoire, comment se terminera le deuil de la patiente de Claude Fabre (« Le poumon … disait Toinette. ») Quelle porte ouvrira-t-elle ? Celle de sa vie ou celle de la mort ? Et s’il suffisait de « peu de choses » : rencontrer l’intérêt de quelqu’un pour elle, par exemple, pour faire pencher la balance d’un côté, plutôt que de l’autre ?
Ceux d’entre nous que palper n’empêche pas d’entendre ont souvent le sentiment d’être au moins spectateurs, sinon peu ou prou personnages d’un « conte » dont personne ne connaît encore la fin, mais dont les épisodes présentent d’ores et déjà une certaine cohérence qui laisse peu de place au hasard. On peut entrer dans l’histoire ou pas, mais si on n’y entre pas, cette cohérence nous échappe, et avec elle, la possibilité d’infléchir son cours ( si c’est possible) avec le temps, et l’assentiment du ou des intéressés.
Cette conception de ce que peut être notre rôle et de ce que l’on est prêt à attendre de nous, si nous acceptons de nous y conformer, n’est pas chose simple. Elle justifie notre méthode de travail. A travers notre expérience personnelle, elle justifie aussi notre référence aux concepts freudiens, et nous croyons que les médecins généralistes qui le souhaitent peuvent et devraient apprendre à les associer à l’application de leurs connaissances et de leur savoir faire médicaux, pour mieux comprendre et soigner les maladies dans leurs patients.
La psychanalyse et la médecine générale ont ceci de commun, qu’on le veuille ou non, qu’elles concernent l’une et l’autre le fonctionnement à plus ou moins long terme d’une personne vivante et donc susceptible d’évolution dans le temps. Si la nature de leurs objectifs, et donc de leurs méthodologies respectives n’ont rien de commun, leur lointaine et certaine parenté s’explique par cette fameuse tunique de Nessus. On ne sait pas tout des causes et de leurs effets. Ils ne sont pas toujours explicables par les seules sciences à proprement parler médicales. Ils se montrent parfois contraire à ce que l’on prévoyait, la mort peut en résulter, à moins que ce soit la vie…
Si Heracles avait connu l’origine du mal qui le consumait, jusqu’à le mener au suicide, il aurait pu, peut être seul, ou aidé de son épouse, enlever sa tunique et du même coup changer son destin.