Louis Velluet.
Pour un séminaire, qu'il s'agisse de recherche ou de formation, ou des deux associés, le choix d'un intitulé n'est jamais simple.
Moins encore dans le secteur de la Science Médicale où nous travaillons que dans tout autre.
Sans doute réclame-t-il encore plus de rigueur dans la mesure où nos frontières semblent parfois imprécises et les connaissances de nos confrères sur notre discipline, incertaines.
C'est ainsi que la session dont nous rendons compte aurait pu évoquer le généraliste et la «thérapie» des couples. Le mot pouvait prêter à la confusion, puisqu'investi par les psys non-médecins auparavant, et depuis lors son sens infléchi : il a semblé logique d'y renoncer.
A la réflexion, il n'est pas certain que cette modification était aussi avisée qu'elle le paraissait. En position de suffixe, thérapie complète et précise des maux qui désignent la plupart des activités médicales et paramédicales, la pharmacothérapie et ses multiples dépendances (antibiothérapie, corticothérapie etc., etc. ...) Les diverses physiothérapies, sans oublier les psychothérapies.
Thérapie utilisé seul rendait finalement assez bien compte de l'étendue des interventions du médecin généraliste et de la nécessité où il se trouve de concilier prescrire et « se prescrire ».
Dans un second temps, le parti pris apparaît plus judicieux. Il est vrai que ce gommage laisse face-à-face, ôtée la panoplie du professionnel, l'homme-médecin et ceux qui s'adressent à lui. C'est évoquer d'emblée le climat original dans lequel évolue le médecin de famille.
Introduit dans des demeures où ses yeux ne devraient s'arrêter que sur ce que ses maîtres lui concèdent de voir, il lui est tout à fait impossible d'ignorer les mouvements de vie cachés qui s'y déroulent.
L'originalité de sa fonction réside pour l'essentiel dans la possibilité qui lui est donnée de se fondre dans un ensemble humain tout en conservant les responsabilités liées à sa pratique et des prérogatives pas toujours faciles à exercer.
Apparent et invisible à la fois, il enregistre et mémorise.
Qu'il accepte ou non, qu'il en soit conscient ou non, il ne peut échapper à la réalité : l'intimité de ses patients l'englobe et l'implique. S'il peut longtemps feindre de l'ignorer ces mêmes patients ne manqueront pas de lui rappeler à l'heure ou sa compétence en humanité sera requise (cette heure sonnera inéluctablement tôt ou tard). Instant décisif où peut se dévoiler en quelques secondes l'orientation d'une vie professionnelle : être ne pas être médecin de famille.
Moment crucial ou peut s'affirmer, ou s'évanouir, ce qui jusque-là tenait plus de l'abstraction que d'une prise de position concrète. Il devient alors impératif d'opter pour une des deux attitudes médicales possibles.
Soit se comporter comme en applicateur strict des différences savoirs codifiés (qu'ils soient de médecine interne, de psychiatrie ou même de psychologie). Refuser toute implication affective personnelle, quitte à tenter de dépasser la question en se défaussant sur d'autres, présentés comme plus savants, des responsabilités liées aux pronostics vitaux ou psychiques.
Soit accepter d'affronter les tableaux non systématisés, les situations limites qui lient structurellement et indissolublement vie psychique et vie émotionnelle.
C'est cela, pour exercer la Médecine de Famille. Cela suppose d'avoir percé à jour l'interprétation erronée faite depuis quelques années de la vieille prescription hippocratique :
il ne s'agit en aucune façon de fermer les yeux sur ce qu'on peut entrevoir dans les esprits et les demeures des patients, mais bien de ne pas en faire des instruments de pouvoir ou de sujétion.
Une des révolutions majeures de la fin de ce siècle en médecine restera sans doute la découverte que les éléments recueillis par cette observation quotidienne peuvent modifier radicalement la compréhension et le pronostic des pathologies individuelles ou familiales, s'ils sont intégrés aux données médicales traditionnelles.
Que cette révolution soit encore occultée par l'énormité des prouesses techniques de tout ordre ne diminue pas pour autant sa portée. Le temps, n'en doutons pas, rendra justice à tous ceux qui en auront été les initiateurs et les acteurs.