Par Louis Velluet.
« La vie est un long fleuve tranquille »
(Etienne Chatilliez)
Choisir la médecine générale comme pratique, c'est accepter de vivre au jour le jour sur la houle du temps.
Partagé entre la conviction d'avoir à s'appuyer à chaque moment sur des fragments de savoir indiscutables et la certitude des changements inéluctables à venir, le médecin de famille ne trouve ses amers que dans ce qui se tisse entre lui et ses patients dans la durée, dans ce qu'il entrevoit de leur manière d'être, de ce qu'ils peuvent recevoir dans l'instant, et de leurs possibilités évolutives.
Aussi important que soit le bagage de savoir dont il est porteur au sortir de la faculté, il ne bénéficie donc au départ que d'un avantage relatif. C'est au temps de faire ensuite son oeuvre. Chaque patient, suivi au long des années, enrichit son médecin, non seulement d'un savoir complémentaire, mais aussi d'un savoir différent qui porte sur le sens de la vie.
Dans la foule composite des médecins, c'est ce que beaucoup redoutent ou fuient. C'est pourtant ce que sa fonction d'accompagnement permet au généraliste d'acquérir peu à peu, s'il a le cœur bien accroché.
C'est en cela que réside l'importance et la difficulté de son rôle.
Il lui faut accepter de se tenir aux côtés des vieillards et de vivre avec eux jusqu'au bout de leur chemin sans se décourager : ainsi lisant Claude Fabre, vous y trouverez une illustration de ce que recouvre la notion « d'investissement mutuel ».
Il lui faut faire l'effort de franchir les obstacles qui s'interposent entre lui et son malade hospitalisé : étudiant le récit de Benoît Raynal, vous saisirez l'importance de ce suivi à travers les ruptures dramatiques de l'intervention extérieure nécessaire.
Il lui faut supporter de se laisser emporter par la dynamique psychothérapeutique qui naît inévitablement de la rencontre entre un patient et un médecin débarrassé de son armure idéologique : analysant la communication de Jean-Pierre Rageau, vous entreverrez pourquoi la formation des médecins de famille est l'enjeu de temps de convoitises.
Il lui faut affronter les vieux démons de la rencontre sadomasochiste et du besoin de s'autodétruire : savourant Jean-François Authier, vous découvrirez, si vous ne le saviez déjà, que notre arsenal thérapeutique n'est pas toujours aussi triomphant que dans les émissions médicales télévisées.
Il lui faut enfin peser soigneusement les affaires de sa pharmacopée : réfléchissons au texte de Jean-Michel Abib qui clôt ce numéro, vous rêverez sur les paradoxes du médicament, objet dont la chimie mystérieuse déborde les molécules.
Ainsi est composé ce numéro qui parle du temps. Le temps du médecin et celui du patient qui s'entrecroisent et constituent la trame de nos existences. Nous l'avons fait pour vous avec soin, prenez le temps de le lire.