par Louis VELLUET
" La science ne sert qu'à vérifier les découvertes de l'instinct ".
Jean Cocteau
Écrire la Médecine Générale : combien de tentatives suscitées par cette obsession depuis dix ans ! Combien d'échecs aussi, tentatives avortées dues au fait que ceux dont s'empare cette étrange marotte perçoivent souvent mal les vraies raisons de son exigence.
Dire qu'écrire la médecine générale relève de la nécessité théorique, c'est s'exposer à multiplier les étapes intermédiaires stérilisantes.
De discours moralisateurs en constructions artificielles, d'essais de théorisation en objectifs pédagogiques, la matière étudiée s'appauvrit. A l'arrivée, la substance vivante a disparu.
Ce qui reste, c'est un peu le squelette de nos premières années d'études, ça ne tient que par le fil de fer de la dialectique.
En réalité, en aucun cas, on ne peut faire l'économie d'une phase préalable fondamentale qui consiste à porter un regard d'expérimentateur sur les différents temps de la pratique journalière.
C'est que l'exercice de la Médecine Générale, pour être fidèle à lui-même, doit être création continue. Il suppose l'acceptation par celui qui le pratique d'un renouvellement perpétuel des faits observés et des moyens utilisés pour y répondre. A la limite, il exige la conscience d’une évolution inéluctable autant pour lui que pour ses patients.
On touche là du doigt une différence essentielle avec la pratique des enseignants hospitaliers et universitaires qui se veulent détenteurs et garants de la somme des connaissances scientifiques À un moment donné.
Il y a certes complémentarité entre la notion académique de moment qui suppose une pétrification des connaissances et celle de détection des variables qui définit la part du champ spécifique de la discipline Médecine de Famille.
Mais, au point où en est notre société de son évolution, il est important de savoir que toute confusion entre les deux domaines se révèle facteur d'inefficacité si ce n'est de désordre.
Ainsi donc, expérimentateur et observateur à la fois, le médecin de famille tente de saisir, au sein de l'univers mouvant qui l'entoure, les lois qui l'aideront à distinguer entre le fugitif et le constant, l'accidentel et le déterminé, l' inattendu et le prévisible. Mais la recherche de ces lois passe obligatoirement par la description de ses expériences personnelles.
Nous connaissons, pour la vivre tous les jours, l'impérieuse nécessité où sont les praticiens d'exposer ce qu'ils ont vécu pour tester l’écho qu'ils en recevront de leur pairs.
Le travail scientifique commence à partir du moment où ces histoires s'écrivent dans tout le foisonnement de leurs aspects biologiques, sociaux, psychologiques (sans que l'auteur oublie qu'il y est impliqué toujours et que sa simple présence est facteur de modifications). Il se poursuit et prend forme quand les textes sont recueillis dans un lieu où ils puissent être discutés.
C'est le JE de la narration qui va permettre de passer au NOUS du concept.
Depuis sa fondation, l'Atelier a choisi de rendre compte des phénomènes de la vie dans leur rapport au médical.
Petit à petit, d'année en année, les " Journées de Communications " ont ainsi contribué à l'apparition d'une écriture de la Médecine Générale : la richesse de ce numéro en témoigne une fois encore.
Notre fierté reste d'avoir été et d'être jusqu'à ce jour le lieu de cette élaboration progressive.
Le chemin est maintenant balisé ; notre ambition n'a pas changé : permettre à tous ceux qui le désirent de s'y engager en exposant ce qu'il en est de leur pratique. Ainsi pourront se mettre en place les basses théoriques d'un exercice de la Médecine Générale renouvelé au profit de tous.
L.V.