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ATELIER FRANCAIS DE MEDECINE GENERALE

EDITORIAL N° 4 Douce oh ! Ma douce...

2 Nov 2018 9:09 PM | Benoît Raynal (Administrator)
           Il est des modes qui irritent, des associations qui dérangent... La douceur est à la mode, elle semble devoir tout faire passer, et pourtant, je la supporte mal en certains domaines :

            Si j'accepte la douceur de vivre, la folie douce et même d'être un doux crétin, je m'inquiète davantage lorsqu'on me propose les drogues douces ( Marie-Jeanne,  quel doux nom!) ou la mort douce.
            Lorsqu'on chante les « Médecines douces », je ne comprends pas plus, pas davantage, d'ailleurs, lorsque l'interlocuteur charitable se penche sur mon ignorance et traduit : ce sont les « Médecines Naturelles » officialisées enfin (! ? !) puisqu'on les enseigne à l'Université.
            Ma perplexité commence au pluriel : on enseigne maintenant « des » médecines, comme s'il enseignait « des » sculptures ou « des » peintures, et dans ces médecines il en est de douces et de naturelles. La mienne, celle qu'on m'a apprise -- avec un M majuscule -- seraient-elle brutale ou surnaturelle ?
            Lorsque, pour plus amples informations, on considère le menu offert par une célèbre Faculté on découvre qu'il s'agit en particulier, et dans le désordre, des acupuncture, homéopathie, mésothérapie, phytothérapie, et quelques autres sans doute. Il ne saurait être dans mon propos de discuter de la valeur de ces différentes techniques : je n'y ai aucune compétence et de plus qualifiés que moi l'on fait, le font ou le feront. Je manifeste simplement, au passage, mon agacement devant leur présentation actuelle par les médias, toute faite, semble-t-il, pour séduire les associations de consommateurs qui ne sachant « que choisir » ne savent bien entendu comment choisir, fussent-ils « 50 millions ».
            Avant tout, quel liens subtils permettent-ils de présenter parallèlement la millénaire acupuncture -- dont la pratique ancestrale ne semble pas avoir au cours des ans tellement amélioré l'état sanitaire de la Chine traditionnelle -- et la centenaire homéopathie reposant sur un postulat ni démontré ni démontrable ?

            Peut-on davantage rapprocher la mésothérapie, qui utilise à sa façon les drogues allopathiques habituelles, de la phytothérapie dans le principe me semble être – mais je n'ai peut-être pas bien compris -- d'user des plantes qui sont à la base de la plupart de nos médicaments classiques en s'assurant toutefois qu'il ne s'agisse que des présentations inactives de ces dites plantes ? De cette médecine là, je retiens que ce qui vient des plantes ne peut être toxique et je soigne ma bronchite chronique avec des fumigations de tabac (herbe à Nicot) brûlé dans une pipe en bruyère naturelle, tout ce qu'il y a d'écologique !
            D'où vient cet engouement massif, cette mode vers la « douceur » et le « naturel » ?
            -- pour le Public, il s'agit certainement d'un attrait vers le marginal, d'une révolte contre un supposé pouvoir médical : c'est en fait l'Institution qu'on rejette, à tort d'ailleurs bien souvent : ainsi nos patients déçus se retournent-ils vers un Hahneman en butte à l'hostilité de la Faculté, à la jalousie de ses confrères. Il trouve en lui un recours contre les privilèges des apothicaires et la prétentieuse ignorance des « officiels ». On a oublié le Hahneman d'après 1812 chargé de cours à l'université de Leipzig et plus encore les années parisiennes lorsque, autorisé à pratiquer en France par décret royal, il termine sa carrière et sa vie de médecin mondain riche et adulé. Se souvient-on encore qu'il pourfendait dans ces écrits... la phytothérapie (déjà) et son utilisation empirique des plantes médicinales : ce qu'il nomme dans sa thèse « l'elleborisme » ? Pense-t-on que Hahneman agressait en son temps une thérapeutique qui en était encore aux vomitifs, aux purgatifs, et aux saignées ? Qu'il est mort en 1843, avant que Pasteur n'ait publié ses travaux médicaux ?
            -- pour les Institutions, par contre, qu'elles peuvent être les motivations à cet engouement pour les anciennes médecines ? Elles me semblent, hélas, moins pures, d'autant qu'elles ne peuvent reposer sur l'ignorance. Depuis qu'un médecin-conseil de la Sécurité Sociale m'a suggéré, fort aimablement, au téléphone, de « faire de l'acupuncture » pour écréter les pics anormaux de mes profils d'activité, je dois dire que -- comme Devos -- j'ai des doutes ! M. Mao n'avait-il pas sacralisé en son pays, l'acupuncture pour des raisons économiques, comme un vague ministre de la Sécurité Sociale ? En fait je ne pense pas qu'une hypothèse aussi sordide puisse être retenue, dans un pays comme le nôtre où l'on sait que « la santé n'a pas de prix ».

            Le danger en fait, me semble bien plus universel. Si ces techniques diverses n'ont qu'un seul point commun leur « marginalité », leur caractère non officiel, peut-on imaginer ce que va en faire l'Institution (qu'elle soit blanche comme neige, rose bonbon ou rouge pivoine) ? Elle va les accueillir en son sein, les systématiser, les enseigner, les évaluer, bref les vidant de leur moelle, les réduire à néant : ainsi, devenues de quelconque « optionnels », périront les douces médecines naturelles.
            Grande aussi est mon inquiétude lorsque je vois les mêmes institutions, les mêmes administratifs, les mêmes universitaires, les mêmes médias -- qui viennent à mon sens d'exécuter ces médecines parallèles -- se pencher avec intérêt sur le sort de la Médecine, de notre «Médecine Générale » qu'ils veulent faire meilleure encore et plus efficace et plus actuelle et plus douce et plus naturelle...

     Mort douce !
     Mort naturelle !

     Quel beaux discours ne fera-t-on pas sur nos cadavres ?

    J.F.A.

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